David Turgeon : Le continent de plastique
Avec ses deux premiers romans, Les bases secrètes et La revanche de l’écrivaine fantôme, l’auteur et bédéiste David Turgeon nous avait déjà démontré un désir littéraire éclatant des cadres, s’inspirant au passage de Calvino et Borges. Avec son nouvel opus, Le continent de plastique, Turgeon nous livre ici son roman le plus linéaire, qui n’en est pas moins étrange. Dans une ville fictive avec un personnage sans nom, le lecteur suivra les tergiversations d’un universitaire. Lorsqu’il devient l’assistant d’un écrivain célèbre, au succès tant critique que populaire, il laissera lentement se transformer ses volontés d’écriture en simples velléités. Incursion dans un milieu tant littéraire que d’initiés.
Chaque chapitre s’articulant autour d’une parution du maître, ces avancées littéraires nous seront livrées par son assistant, nous guidant à travers maints digressions et changements de cap, accompagné par ses amis universitaires – modestement surnommés les cavaliers de l’apocalypse–, qui eux-mêmes tenteront de trouver leur place dans ce milieu littéraire. Avec Turgeon, rien n’est jamais simple. Les petites histoires forment la grande: celle d’un homme heureux dans un certain anonymat. Délaissant sa copine pour une exilée allemande, il ne cessera de s’interroger sur le seul milieu dans lequel il semble se trouver une pertinence.
Bien que certains des pans narratifs de Turgeon peuvent sembler parfois bancals, parfois banals, il n’en reste pas moins qu’il dresse au détour de ce livre un portrait tantôt cinglant, tantôt cynique, d’une faune littéraire tant fantasmée que bien près du réel. Que ce soit dans ses digressions – qui peuvent se perdre en longueur – ou à même sa trame narrative, il lance des regards, si ce n’est des flèches, à ses contemporains. Du manifeste Reality Hunger de David Shields, remettant en question l’utilité du roman, en passant par le destin tragique de Nelly Arcan, les clins d’œil sont tantôt subtils, tantôt évidents. Un roman comme un continent de plastique, où s’agglutinent dans une marée littéraire différents mensonges, réflexions, digressions, histoires, vérités, formant un tout à la fois homogène et hétéroclite, conséquence inhérente à notre modernité. Et l’assistant de répondre: «[…] je pense qu’il faut revenir à l’essai. À tout le moins à une forme hybride en essai et fiction. Il faut se mesurer à la réalité en éliminant les filtres narratifs. Autrement on n’arrive à rien.»