Des mots… et des lettres
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Des mots… et des lettres

Je n’ai pas de Facebook. C’est un voleur de temps qui exige beaucoup trop d’attention et de surveillance. Du trouble, quoi!

Par contre, je tweete. Rarement, mais je tweete quand même. En fait, je consulte davantage et je surveille, non sans intérêt mais avec modération, les tornades qui arrachent tout sur leur passage, qui sèment la désolation en enflammant les esprits, surtout les plus retors, et qui détournent de la réalité les luttes qui méritent d’être menées.

Des exemples? Est-ce nécessaire?

Les coulées de lave qui ont recouvert le corps froid de Jutra, les bavures qui ont dégouliné sur Olivier, un anodin gala, et l’abondance souvent indigeste de réflexions sur une liberté d’expression noyée dans la confusion. Est-ce suffisant pour illustrer ce tourment?

Toutefois, il y a des auteurs de tweets, des twitteurs donc, dont je lis les 140 caractères en me régalant. Des poètes à leur façon dont quelques mots à peine suffisent à mettre en évidence et leur talent et leur intelligence. Bernard Pivot, par exemple. C’est un délice de le suivre et de le lire; des idées, de l’amour, des sensations, de l’émotion, sans prétention.

Bon, allez! Laissez-moi citer quelques-uns des récents messages signés par celui qui fut l’inoubliable animateur de l’émission Apostrophes! Pour le plaisir, allez!

Il y a quelques semaines, le 5 mai, monsieur Pivot célébrait son 81e anniversaire. Comme tant d’autres, il n’aime pas vieillir; plus que d’autres peut-être. Aussi écrivait-il en cette journée qui coïncidait cette année en France avec la fête légale de l’Ascension:

Ce n’est pas parce que votre anniversaire coïncide avec la montée de Jésus au ciel que cela vous donne envie de l’imiter.

Et ça aussi:

Les pères s’excusent-ils jamais auprès de leurs enfants d’avoir participé à leur conception sans trop y réfléchir?

En France tout comme ici, le printemps a tardé à venir, à se montrer le bout du nez. Or un dimanche de mai, sans crier gare, il est arrivé. Voilà un tweet écrit le 9 par Bernard Pivot:

Soudain l’été, hier, à Paris. L’éclosion de la blancheur des épaules, des bras, des cuisses, des chevilles. Le soleil s’est régalé.

Trois petites phrases peuvent-elles traduire plus de sensualité?

Nouvelles éditions

Dans un tout autre ordre d’idées… Ce mois-ci toujours, Le Larousse et Le Petit Robert ont lancé l’édition 2017 de leur dictionnaire. Ce sont des livres, des livres importants. L’académicien, Jean d’Ormesson, n’a-t-il pas dit que Le Petit Larousse est le seul ouvrage qu’il emporterait sur une île déserte?

Beaucoup de nouveautés finalement, et beaucoup de mots liés aux nouvelles technologies. C’est vrai qu’en 2016, il faut suivre. Alors désormais, je sais qu’un dépendant du cellulaire s’appelle, allez savoir pourquoi, un nomophobe et que les geeks et les youtubeurs sont maintenant des mots de la langue française.

Dans l’un des dictionnaires ou dans l’autre, il est question d’émoticônes, ces petites faces jaunes qui tantôt rient, tantôt grimacent, tantôt pleurent. Et comme on n’échappe pas à son époque, on retrouve aussi des mots ou des expressions engendrés par le terrorisme. Le loup solitaire et le complotiste se côtoient donc entre le plat recto et le plat verso du dico.

Évidemment, Bernard Pivot, qui est un amant de la langue, n’est pas resté indifférent à tous ces ajouts. Comme le linguiste Alain Rey, il déplore bien sûr «l’afflux d’anglicismes», mais se réjouit de l’enrichissement provoqué par l’entrée en scène de certains vocables.

Ce fou de soccer qui doit être très heureux que le buteur Lionel Messi ait réussi à compter même dans Le Robert a donc tweeté en termes sportifs:

Carton or au Petit Robert pour les mots nouveaux: ubériser, viandard, youtubeur, mara (fraise), twittosphère.

Carton or au Petit Larousse pour les mots nouveaux: yuzu (fruit asiatique), seul en scène (one man show), impermanence, europhobe.

Carton rouge au Petit Robert pour les mots nouveaux: néonaticide (meurtrier d’un nouveau-né), geeker, matinalier.

Carton rouge au Petit Larousse pour les mots nouveaux: spin-off, stand-up paddle, zadiste, mook.

Quant au Québec, il a aussi son mot à dire avec balado, sans-allure et Xavier Dolanqui figure à la lettre D du Larousse des noms propres, tout comme Ai Weiwei, qui se retrouve à la lettre A ou W.

À 27 ans, le prodige du cinéma idolâtré en France apparaît donc dans le dictionnaire. Je crois qu’on peut dire que c’est une consécration. La question bien sûr est de savoir si, pour un réal, c’est plus important, plus fort, qu’un prix dans un festival. Le défi maintenant, c’est d’y rester pour vraiment passer à l’histoire. Je me demande quand même ce qu’on peut ressentir quand on apprend la nouvelle. Est-on consulté? Peut-on refuser? Sent-on sa tête enfler? Ou gagne-t-on quelques centimètres, ce qui dans le cas de certains est un cadeau?

On a récemment beaucoup parlé au cours des derniers mois de notoriété, de la dictature de la pipolisation, de «la souveraineté du people», de déclinaison de la célébrité par lettre alphabétique. Or, sans contredit, même si on ne surgit qu’à D et qu’on se prénomme Xavier, une fois dans le dictionnaire, contre tous mais surtout envers, on est un A.