Joseph Andras : De nos frères blessés
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Joseph Andras : De nos frères blessés

Le 11 février 1957, dans la prison de Barberousse à Alger, Fernand Iveton est guillotiné. Trois mois auparavant, il avait laissé une bombe dans l’usine dans laquelle il travaillait. Elle devait exploser en fin de soirée, alors que l’endroit était vide, l’auteur de l’attentat désirant saboter le système plutôt que de faucher la vie d’innocents travailleurs. Bien avant la détonation, les forces armées ont été alertées et, dépêchées sur les lieux, ont pu mettre la main sur la bombe et le coupable. Torturé pendant deux jours, Iveton livrera quelques-uns de ses collègues avant d’être jugé et exécuté. Ce communiste et anticolonialiste français né à Alger fut le seul Européen condamné à mort pendant la guerre d’Algérie. Joseph Andras nous offre ici un premier roman aux airs d’hommage à un homme dont la tête a roulé par calculs politiques bien plus que par culpabilité. Plongeon humain dans les affres de l’histoire.

Ce court roman, Andras le livre comme un coup de poing sur la gueule. Dans une narration où s’entremêlent les dernières semaines de sa vie, ainsi que son adolescence et sa radicalisation politique, l’auteur croise le présent et le passé sans saut de ligne clair, amalgame les dialogues à la narration pour créer une urgence de dire qui prend le lecteur aux tripes. Tant dans les balbutiements de sa relation d’amour avec Hélène que dans sa rencontre avec différents compagnons de cellules, chaque ligne de ce livre se lit comme un lamento saisissant, porté par un auteur qui semble tenté de restaurer l’histoire.

Ce livre fut d’abord connu comme le lauréat-surprise du Goncourt du premier roman, car il ne figurait pas sur la liste des quatre finalistes. Ensuite, l’auteur qui écrit sous un pseudonyme a refusé le prix, expliquant que la littérature n’est point compatible avec la compétition. Mais il serait dommage de réduire ce livre à ces politicailleries littéraires, alors qu’il porte en lui une voix littéraire si forte et un témoignage historique puissant. Andras nous amène dans des contrées où «le sang sèche plus vite que la honte» et où, torturé, Fernand Iveton se demandera «de quelles matières sont donc faits les héros». Si ce dernier n’a pu obtenir la grâce présidentielle de René Coty à l’époque, c’est par la grâce littéraire de Joseph Andras qu’il marquera nos esprits.

De nos frères blessés
Joseph Andras
Actes Sud, 144 pages, 2016
ISBN : 2330063229