Le devoir de désobéir…
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Le devoir de désobéir…

Un livre n’a pas besoin de compter 700 pages pour raconter une histoire ou émettre des principes et des théories. Une quarantaine, 40 bien tassées, suffisent pour alimenter le rêve et la réflexion. Encore, me direz-vous, faut-il que ça dépende des auteurs qui osent dire ce qui, peut-être, dans nos sociétés bien pensantes, ne se dit pas.

Bon, ici, il n’est pas vraiment question d’auteur, bien que Erri de Luca soit un écrivain plus que reconnu. Quant à José Bové, définissons-le comme un militant qui défend la terre, son produit, et un type qui déboulonne un McDo en une nuit pour éviter qu’il occupe la place.

De Luca n’a rien à envier à Bové, lui qui en a vu d’autres. Dès 1968, il s’engage dans l’action révolutionnaire, lutte contre la guerre au Vietnam, participe à la fondation du mouvement d’extrême gauche Lotta Continua, se fait engager chez Fiat pour mener les luttes ouvrières, se rend à Belgrade pour «partager le destin des cibles» pendant la guerre du Kosovo, et qui, il y a quelques années à peine, la soixantaine bien sonnée, incitait au sabotage pour s’opposer au forage d’un tunnel entre le Val de Suse et le Piémont italien. Une vie de militant, de «guerrier», qui ne l’a pas empêché d’écrire.

Gilles Luneau, lecteur du premier et compagnon du second, qui, question activisme, ne laisse pas sa place non plus, Luneau, donc, a décidé un jour d’animer une conversation Skype entre les deux hommes sur la désobéissance, la justice, l’injustice…

En fait, ce qui, au départ, était destiné à Global, un journal en ligne créé par Luneau au service d’une information libre, est devenu un petit livre publié chez Indigène et intitulé Du sentiment de justice et du devoir de désobéir. Le titre en dit déjà pas mal, même si l’essentiel de la discussion se résume à une trentaine de pages, la vingtaine qui reste relevant plutôt du complément d’information.

Un échange saisissant entre deux hommes qui n’ont jamais reculé et qui réfléchissent sur la nécessité de désobéir.

Comment ne pas être fasciné par ces êtres dont le destin était déjà tracé à l’enfance, qui ont choisi de se tenir debout et de ne jamais s’agenouiller devant les pouvoirs corrompus des exploiteurs? Ils ont choisi leur camp.

De Luca raconte, par exemple, qu’enfant, il avait une admiration sans borne pour un enseignant jusqu’au jour où ce prof qu’il aimait tant leur a suggéré une rédaction libre. Le jeune Erri était ébloui par la volonté du maître de transmettre à ses élèves les principes d’égalité dans un monde où, à l’extérieur des murs de l’école, nul n’était bien sûr l’égal de l’autre.

Il a donc rédigé ce travail, conforté dans sa liberté. Or, après correction, le maître l’a accusé de plagiat. Du coup, l’admiration et la confiance se sont désagrégées et transformées en mépris de l’autorité.

Bové a eu une expérience presque similaire. On avait demandé à la classe d’écrire un texte sur le voyage. Et le petit José, plutôt que de raconter le rêve d’un voyage de jeunesse, a présenté une copie où «il visitait les bas-fonds de la société, les prostituées, les mendiants, les exclus et les paradis artificiels». Son travail a été jugé «sulfureux» au point de lui valoir le renvoi de l’école.

L’un et l’autre ont appris deux choses ce jour-là: ce que voulait dire le courage et l’injustice. Cela parce qu’ils ont partagé, en mots, la condition des plus humbles.

Leur chemin était dès lors tout dessiné.

Le livre est fascinant parce que derrière les anecdotes se cachent la pensée révolutionnaire de toute leur vie, le refus de l’autorité, et ce devoir par moment de dire «non». Non au service militaire pour José, non aux pouvoirs, non à l’exploitation, non au bombardement des villes serbes par l’OTAN, non à la construction d’un tunnel inutile, non, aujourd’hui, à la menace proférée contre la santé publique, non au rejet des migrants…

C’est le premier mot prononcé par un enfant après «papa» et «maman». Comme «ce n’est pas juste» est la première objection.

Ce qui les amène à une réflexion sur la justice qui prévaut, dans leur cas, tel un sentiment individuel plus qu’un recueil de lois et de règlements.

Un ouvrage étonnant de seulement quelques pages où, dans un échange presque fraternel, ces deux hommes en disent beaucoup sur la liberté.

Qu’est-ce que c’est la liberté, Erri de Luca?

«Faire correspondre ses mots et ses actions.»

Eh oui! Ça a l’air tout simple comme ça…

Du sentiment de justice et du devoir de désobéir
Du sentiment de justice et du devoir de désobéir
José Bové et Erri de Luca
Indigène éditions, 49 pages, 2016
ISBN : 9791090354920