Sur la route
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Sur la route

Comme dans la chanson des Trois Accords, j’aurais pu enfiler «mon corps de jeune fille» et devenir «La jeune épouse» d’Alessandro Baricco. J’aurais pu quitter l’Argentine pour l’Italie à une époque pas trop lointaine et rejoindre un monde étrange, une famille dont le fils égaré en Angleterre et qui tarde à arriver doit épouser la fameuse jeune épouse. 

J’aurais pu, mais je n’ai pas quitté Buenos Aires, j’ai quitté Montréal pour traverser l’Amérique, dévorer du bitume, voir, regarder, m’éblouir et retrouver l’amour. Je reviendrai sur les États-Unis et leurs routes de velours.

Bien sûr, je ne suis pas La jeune épouse. Je ne suis pas le personnage de l’auteur de Soie et de Novecento. D’ailleurs, si on retrouve dans ce plus récent ouvrage de Baricco cette même écriture légère et sensuelle, on découvre, ce qui est moins courant chez lui, un érotisme ouvert, sans réserve et dépourvu de vulgarité.

Une famille étrange, dis-je, dans laquelle personne n’a de nom ni de prénom, qui accueille à bras ouverts cette jeune fille d’à peine 18 ans sans expérience de vie et encore moins amoureuse. Aussi, de façon impromptue, a-t-elle droit à une initiation sexuelle. La fille, la mère et même le père contribuent à son éducation. On lui apprend le plaisir, mais surtout, le désir. Et c’est là qu’excelle Baricco, parce que s’il est plus aisé de décrire les étapes du plaisir, il est beaucoup plus difficile d’évoquer la sophistication du désir et son ascension vers l’extase:

«Car lorsqu’un homme est en toi et que tu t’agites sur lui, tu peux lire toute sa vie sur son visage, de l’enfant jusqu’au vieillard moribond, c’est un livre qu’en pareil moment il ne peut refermer.»

On lui apprend aussi à lécher, «un geste servile et généreux, un geste d’asservissement et de possession, indigne et courageux.»

Et dans cette quête du désir, il y a bien sûr «l’amour, une tentative incessante de trouver une position dans laquelle se perdre en l’autre… une position qui n’existe pas alors que sa recherche existe, elle, et que savoir chercher est un art.»

Je me suis décidé en un jour. C’était d’abord l’attrait de cette foutue Route 66 dont il ne reste pratiquement plus rien sinon des miettes d’histoire qui, comme les cailloux du Petit Poucet pour ne pas oublier, jonchent le territoire de l’Illinois à la Californie, en passant par le Missouri, le Texas, le Nouveau-Mexique et l’Arizona. La chaleur. Excessive, la chaleur. Des paysages changeants. Du vert, des déserts, des canyons, des plaines. Une remontée vers le Dakota du Sud, Deadwood, cette ville sortie du Far West qui a inspiré la série, Sturgis, où chaque mois d’août a lieu le plus grand rassemblement de motards au monde, le Crazy Horse Memorial, non terminé, et les têtes des présidents sculptées dans le roc du mont Rushmore.

Un pays étonnant de beauté quand on ne le survole pas, habité par le paradoxe humain et qui repose sur des idéologies oscillant entre une liberté troublante et un obscurantisme affolant. Les panneaux qui bordent les routes en témoignent. «L’avortement: un vrai meurtre», «Vente d’armes»; le darwinisme rayé parce que Dieu est le seul créateur, un Trump qui rendra sa grandeur à l’Amérique et une Hilary qui mérite la prison. En dépit de la beauté qui les entoure, les Américains ne sont pas heureux. Ils hésitent. Ils ont peur. Ils se noient dans leurs valeurs.

Ces milles et ces milles, surtout vers Denver, m’ont bien sûr fait penser à Kerouac. Toutes les routes qu’on avale, surtout dans cette Amérique profonde, font penser à Kerouac.

Or, je n’ai pas relu On The Road pour la centième fois. Je suis allé vers plus simple: La Carrière du mal de Robert Galbraith qui, pour ceux qui ne seraient pas au fait, n’est nul autre que J. K. Rowlings, mais donnant dans un genre policier mettant en scène l’enquêteur Cormoran Strike, ancien militaire rentré d’Afghanistan une jambe en moins, et son assistante Robin Ellacot. Ça accroche.

J’avais déjà lu d’elle, dans la même série, L’appel du coucou. Rien pour se creuser la tête, mais ça accroche, dis-je, parce que cette J. K. devenue Robert écrit drôlement bien les histoires policières où évoluent des personnages pas seulement colorés, mais étoffés. On est bien loin de l’univers de Harry Potter, mais la qualité de la plume y est.

Ça fait du bien, aussi, dans ces États-Unis si beaux mais si ternes, de faire un saut dans les pubs de Londres.