Lars Iyer : Nu dans ton bain face à l’abîme
Combien de fois le roman, tout comme la littérature, fut-il déclaré mort? À combien de reprises avons-nous été appelés à la morgue culturelle pour l’identifier? Pourtant, malgré ces fausses funérailles, la littérature a démontré une grande résilience. Et comme un phénix, elle ne cesse de renaître de ses cendres. Lars Iyer, romancier et essayiste britannique, publie cet automne Nu dans ton bain face à l’abîme: Un manifeste littéraire après la fin des manifestes et de la littérature aux éditions Allia. Dans ce court texte tenant en une quarantaine de pages, il joint sa voix aux prophètes de malheur, rédigeant sa propre chronique nécrologique pour une littérature qui fut jadis essentielle.
Dans ce manifeste séparé en trois parties, il évoque d’abord la vie et la mort de la littérature à la manière d’une fable, posant l’écrivain comme un ermite de montagne s’étant peu à peu rapproché du village avant de s’y engloutir et de devenir un expert en publicité. Difficile de ne pas lire ce rapide constat sourire en coin. Où il devient plus intéressant, c’est lorsqu’il convoque des auteurs contemporains, en l’occurrence le Chilien Roberto Bolaño, l’Espagnol Enrique Vila-Matas et l’Autrichien Thomas Bernhard, comme les «quelques rares écrivains [qui] ont saisi la sinistre nature de notre moment littéraire actuel». À travers une brève mais cinglante analyse de trois romans, il démontre l’importance de ces écrivains de la négation qui se jouent d’une certaine façon des codes littéraires tout autant qu’ils critiquent le blason jadis doré de la littérature. Iyer n’hésite pas à souligner le paradoxe inhérent à l’œuvre de ses contemporains, celui de décrier une littérature dans laquelle eux-mêmes s’inscrivent.
Lors de sa parution, ce manifeste a fait grand bruit. Plusieurs sont montés aux barricades pour défendre cette littérature tout comme pour déboulonner l’essai d’Iyer, n’hésitant pas à souligner à quel point on se vautre trop souvent et facilement dans un cynisme confortable. Il n’en reste pas moins que ces essais, aussi prophétiques qu’ils puissent paraître, agissent régulièrement comme des catalyseurs, polarisant les camps et créant un dialogue sur l’état de notre littérature. On peut clairement mettre l’essai d’Iyer dans cette lignée, confortant un défaitisme ambiant tout en poussant le lecteur à réfléchir sur l’acte littéraire contemporain et créant ainsi le genre de bouquin auquel on cornera quelques pages, sans jamais le laisser bien loin.