Leïla Slimani : Chanson douce
«Le bébé est mort.» Y a-t-il façon plus cruelle et plus terrible d’amorcer un roman? Encore faut-il croire qu’il est possible d’amorcer quoi que ce soit après une telle tragédie, après un tel non-sens. Et pourtant, voilà comment commence Chanson douce, le deuxième roman de Leïla Slimani, publié chez Gallimard, une histoire infernale et hypnotique, un huis clos habilement construit en plein cœur de la bourgeoisie parisienne. Cette rencontre entre une nounou parfaite et une famille des plus banales se transformera lentement et méthodiquement en ce cauchemar que l’auteure annonce dès les premières pages. Habile et inquiétant.
L’ouverture est sans appel: un bain de sang dans lequel on retrouve le corps de deux enfants et d’une femme qui semble s’être suicidée après avoir commis l’impensable. Après avoir ainsi annoncé le drame, Slimani nous entraîne dans la genèse de ce dernier. Un couple venant tout juste d’accueillir un deuxième enfant dans la famille alors que la femme commence à trouver le temps long entre les siestes et les sorties au parc. Après la rencontre d’un vieil ami d’université lui offrant un poste dans son petit cabinet d’avocat, elle et son conjoint se mettront à la recherche d’une nounou qu’ils pourront difficilement se payer, mais qui transformera complètement leur vie. Car on doit le dire: Louise est parfaite. En quelques semaines, elle range l’appartement, leur prépare à souper, devient la chouchou des enfants, et ses prouesses derrière les chaudrons font parler tout le voisinage. C’est une réelle bénédiction qui s’abat sur ce couple de trentenaires carriéristes qui, tout à coup, a l’impression de jouir de son existence comme jamais.
Mais le lecteur, lui, sait que quelque chose cloche, il connaît le fin mot de l’histoire. Et il est là, le tour de force de Slimani: elle ne tombe pas dans le piège de créer un roman où on ne s’intéresserait qu’au qui, quand, comment et pourquoi. Non, elle entraîne tant ses personnages que ses lecteurs dans ces tensions malsaines qui se tissent de part et d’autre du récit. Une mère qui jalouse secrètement cette nounou alors que cette dernière vit par procuration une existence qui n’est pas la sienne. Le drame est annoncé, soit, mais le brio et la finesse de la construction narrative de Leïla Slimani sont les réelles surprises dans ce roman. L’une des œuvres les plus étranges, inquiétantes et maîtrisées que vous lirez cet automne.