Le motel du voyeur
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Le motel du voyeur

Par où commencer? La fin? Le début? Je me pose même la question: pourquoi me suis-je lancé dans la lecture de cet ouvrage qu’on présente comme une enquête, mais qui se veut davantage un échange «épistolaire» entre un auteur, considéré comme le fondateur du nouveau journalisme, et un voyeur, un vrai, qui regarde ses contemporains baiser en invoquant toutes sortes de prétextes?

En fait, je voulais d’abord lire de ce même auteur, Gay Talese, dont m’avait parlé ma collègue Karine Lefebvre, Sinatra a un rhume. Je trouvais le sujet amusant: le crooner des crooners souffrant d’un rhume d’homme et la terre entière s’arrête de tourner…

Or, la librairie en bas de la Grande Tour n’avait pas le bouquin dans ses rayons. En attendant qu’il arrive, je me suis donc aventuré dans les couloirs et le grenier de ce motel, propriété d’un être hors de l’ordinaire qui prend un plaisir avoué à regarder zigonner, forniquer, se branler et même s’aimer les clients de son établissement à travers une grille surplombant les chambres. Et si cette histoire est vraie, ce mateur a sévi non pas quelques années, mais pendant des décennies.

Je m’étonne un peu d’ailleurs que Talese, qui a écrit dans les plus grandes publications américaines sur tant de personnalités, se soit laissé happer par ce récit. En fait, je crois que ce reporter qui s’est mis un jour à parler au «Je» en appliquant des techniques de fiction à ses enquêtes s’est laissé hameçonner par la démarche de Gerald Foos – le pervers qui ne veut pas être qualifié de la sorte. D’ailleurs, n’est-il pas écrit en grosses lettres en page couverture de ce bouquin: Une enquête de Gay Talese? Une enquête, pas une fiction.

Comment tout cela est-il arrivé? En 1980, Talese a reçu une lettre anonyme d’un citoyen du Colorado, propriétaire d’un motel, qui lui confessait être un voyeur. L’homme lui racontait qu’après avoir découpé avec la complicité de son épouse des trappes rectangulaires dans le plafond des chambres, il a épié sa clientèle durant des années en notant tous leurs ébats dans les moindres détails. Il y prétextait, grâce à ses méthodes, être devenu le témoin de son époque, une espèce de Master and Johnson pour paumés.

Talese, intrigué, mais pour qui il est hors de question d’écrire quoi que ce soit sans nommer sa source, a accepté d’aller rencontrer Foos dans son antre après avoir signé un document de confidentialité. Une fois à Denver, Foos l’a entraîné dans son labyrinthe pour lui prouver qu’il n’avait rien inventé. Talese a vu ce qu’il devait voir et est reparti chez lui.

Toutefois, l’histoire était loin d’être terminée puisque pendant des années, Gerald Foos a écrit des pages de son journal décrivant des scènes, les commentant, les mettant en contexte et les a fait parvenir à Talese. Et puis un jour, il y a quelques années, Foos, devenu vieux, n’étant plus propriétaire du motel, réalisant qu’il vivait désormais chez Big Brother où tout le monde est devenu un voyeur, a autorisé Talese, qui n’était jamais retourné à Denver, à raconter son histoire et à donner son nom.

Franchement, tant qu’on garde en tête qu’il s’agit d’une histoire vraie, Le motel du voyeur reste un curieux bouquin. Parce que le personnage est étrange, parce qu’il est dépravé même s’il ne s’avoue pas pervers, parce que malgré le sujet et la dissection des scènes, malgré les détails, il n’y a dans ce bouquin aucune forme d’érotisme alors que c’est sur un supposé érotisme que repose cette histoire.

Alors, ou Talese ne sait pas décrire la sensualité et même la volupté quand elle se présente, ou bien il refuse de tomber dans le piège pornographique. J’opte pour la seconde thèse.

Même si par moment, on peut se croire en plein roman, même si les personnages peuvent sembler chimériques, même si l’écriture de Talese baigne dans un esthétisme recherché, il refuse de toute évidence de rendre attrayante la démarche de son voyeur.

Il aurait été facile d’en faire un héros. Facile aussi de le transformer en victime d’autant plus que c’est toute sa vie que l’on découvre, de son enfance à son âge avancé.

Non, Gerald Foos n’est qu’un humain: un homme quelque peu tordu comme il y en a des millions, voyeurs, dont 90% sont des mâles et 10% seulement des femmes, mais un être somme toute pitoyable.

J’avoue, cet ouvrage m’a laissé un petit goût amer. Peut-être parce que je n’y ai pas trouvé le cul divertissant que j’attendais ou peut-être seulement parce qu’il révèle le tragique d’une nature par trop humaine.

Le motel du voyeur
Le motel du voyeur
Gay Talese
Éditions du sous-sol, 256 pages, 2016
ISBN : 9782364682252