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Les nouveaux amants

Je m’apprêtais à quitter la maison pour aller prendre l’avion. Je cherchais quelque chose à lire pour le voyage. Le roman était posé sur une chaise dans mon bureau. Alexandre Jardin? Bof! Pourquoi pas? Je l’ai pris. «Léger», me suis-je dit. Parfait.

Y avait belle lurette que je ne m’étais pas plongé dans un bouquin de ce romancier romantique. J’avais lu Le zèbre et Fanfan au début des années 1990, dans lequel l’amour non assouvi était au premier plan. C’était charmant. Quelques années plus tard, l’auteur, devenu soudain réalisateur, tournait un film tiré de son roman. J’étais allé l’interviewer aux studios de Billancourt, ainsi que sa comédienne, Sophie Marceau. Je garde de ces rencontres un joli souvenir. Le mot joli n’est pas anodin. Joli comme dans mignon. Rien de plus.

Depuis, aucun son, aucune image, aucun livre d’Alexandre Jardin n’ont suscité mon intérêt, sauf peut-être sa confession publique sur sa famille, son grand-père. J’ai eu envie de ces Gens très bien dans lequel cet auteur plutôt gentil révèle le passé peu glorieux de son grand-père, Jean Jardin, un proche de Laval, un collaborateur, haut dignitaire du régime de Vichy. Jean aurait participé en 1942 à l’enfermement, dans le cadre de l’aryanisation, de 13 000 juifs au Vélodrome d’Hiver.

Le bouquin a fait du bruit. J’étais intrigué par cette confession d’un petit-fils de collabo honteux. Et ce mea-culpa déguisé m’est sorti de la tête. Bref…

Rien, jusqu’à ce que ces Nouveaux amants me fassent de l’œil. Un roman d’amour qui trempe le bout des orteils dans l’eau de rose. Roses, c’est justement le prénom de l’héroïne – avec un s à la fin –, Roses Violente. Une femme de 25 ans qui habite Saint-Sébastien-sur-Loire, qui blogue, tweete et s’éprend, au fil d’un échange de gazouillis, d’un dramaturge parisien qui succombe à la puissance des mots écrits par Roses. En fait, au cours de ce chassé-croisé virtuel, ils s’éprennent l’un de l’autre.

Au fait, Alexandre Jardin, il faut le rappeler, donne aussi dans la politique puisqu’après avoir fondé plusieurs associations de citoyens à travers la France et un mouvement, citoyen toujours, Bleu Blanc Zèbre, l’écrivain se présente aux présidentielles françaises de 2017. Il est le candidat de L’Appel des mouvements citoyens. Remarquez bien, cela n’a rien à voir avec Les nouveaux amants.

Alors, ces gazouillis? C’est ce qui m’a accroché, happé. Les réseaux sociaux, qui sont au cœur de l’intrigue, entrent en collision avec l’écriture un peu «vieille France» de Jardin. Or, il les récupère pour les glisser au centre de son récit. Et ça, c’est intéressant. Parce que la nouveauté à laquelle fait allusion le romancier est là, dans ce rapport amoureux et passionnel qui passe à travers les mots, les écrits, mais aussi d’autres canaux de communication.

À propos de cette technologie devenue le fondement de la découverte amoureuse, Jardin a déclaré à la parution de son livre: «Les médias sociaux rendent fous, car c’est immédiat».

Et c’est vrai que cette instantanéité, cette absence de recul, dans une situation de reconnaissance entre deux êtres, comme celle proposée par Alexandre Jardin, infléchit l’approche amoureuse. Les textos, les tweets, Instagram et même Skype, puisqu’il en est aussi question dans le roman, agissent comme des amplificateurs d’émotions. En les utilisant, les héros du récit injectent des stéroïdes à leurs sentiments, alimentent démesurément les amours infidèles et nourrissent une passion destructrice. N’est-ce pas un peu le réel?

Roses et Oskar, d’ailleurs, s’aimeraient-ils autant s’ils ne se réfugiaient pas derrière leur cellulaire, s’ils ne se cachaient pas derrière un écran, s’ils n’écrivaient pas ce qu’ils n’auraient peut-être jamais osé dire de vive voix? Pas aussi rapidement, en tout cas.

Cet anonymat, faux par ailleurs, devient rapidement un accélérateur d’énergie. Il libère l’interdit. Il rend tout plus facile et ouvre grand la porte au fantasme et à l’illicite. Il réveille le désir. Il érotise.

L’écran sur lequel glissent les mots cache la beauté, la réalité. Il isole les amoureux et fait basculer dans le passionnel ce qui ne serait peut-être qu’une simple attirance jamais avouée.

Alexandre Jardin fait ainsi des réseaux sociaux le personnage le plus important et intéressant de son roman. Celui qui permet à ses héros de vivre la plus grande des aventures romantiques, qui les autorise à basculer dans une folie engendrée par la passion, qui les affranchit du conservatisme de la société et les libère de leurs chaînes, même les plus intimes.

C’est ça qu’Alexandre Jardin a réussi dans son roman. Il fait la démonstration de la puissance de l’amour virtuel, celui qui donne à l’impossible sa véritable licence.

Les nouveaux amants
Les nouveaux amants
Alexandre Jardin
Grasset, 342 pages, 2016
ISBN : 9782246860792