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Marie-Claire Blais : Des chants pour Angel

«Daniel pensait souvent que le monde s’effondrait plusieurs fois avant notre réveil du matin, ce dont nous avions quelque aperçu dans nos rêves et cauchemars, pendant que nous dormions, quand nous apprenions que le monde s’était ainsi effondré plusieurs fois pendant notre sommeil, nous étions révoltés, nous éprouvions un malaise honteux de vivre dans un tel univers, si sombre et si cruel, et puis nous ne ressentions plus rien, comme si ce monde n’eût plus été notre affaire, il y avait une coupure, il nous fallait retourner dignement à nos préoccupations, et c’est ainsi que Daniel se remettait à l’écriture…» C’est ce qu’on peut lire dans les premières pages du neuvième et avant-dernier tome du cycle Soifs de Marie-Claire Blais, Des chants pour Angel, et on ne peut s’empêcher de croire avec certitude qu’il s’agit là d’un modus operandi que l’écrivaine partage avec son personnage de Daniel.

Nous retrouvons Petites Cendres, Mabel, Daniel, Mai, Vincent et tant d’autres personnages peuplant l’univers romanesque de Marie-Claire Blais depuis maintenant plus de vingt ans. Si plusieurs se questionnent sur comment célébrer une dernière fois Angel qui vient de les quitter, c’est surtout le personnage du Jeune Homme qui est au centre de ce roman, lui qui opérera une tuerie raciste en plein cœur d’un lieu de culte, événement qui n’est pas sans rappeler un fait divers des dernières années. Il serait par contre dommage de décrire ce grand livre comme un roman autour d’un fait divers, alors que l’écrivaine poursuit son analyse clinique et critique des maux sombres qui forment notre monde. Bien que le racisme fut toujours présent chez Blais, ici, elle le met en scène avec toute la violence qu’il génère, créant un roman comme une charge qui terrasse le lecteur en l’expulsant de toute zone de confort.

L’écriture de Marie-Claire Blais est fidèle à elle-même, une phrase-fleuve, un roman comme la vie, sans pause aucune, ne laissant pas au lecteur le plaisir de prendre son souffle, car comme le réel, l’écriture de Blais est toujours en marche, toujours vivante. Si de prime abord l’exercice peut sembler difficile – certains diraient pénible –, la maîtrise dont fait preuve Blais est telle que le lecteur est happé dans un tourbillon d’une grande force, d’une grande humanité. Enfin, bien qu’elle offre ici peut-être l’un de ses livres les plus noirs, elle réussit encore une fois le tour de force de trouver une certaine lumière au fond de l’histoire, au fond de nous.

Des chants pour Angel
Marie-Claire Blais
Éditons du Boréal, 240 pages, 2017
ISBN : 9782764624692