Marie-Pascale Huglo : Montréal-Mirabel
À une époque où le réel nous envahit par différents canaux d’où le bruit paraît incessant, il percole aussi jusqu’au cœur de la littérature, amenant plusieurs à crier la mort du roman en raison de ce surplus de réel. C’est une thèse défendue entre autres par David Shields dans son plus récent essai Besoin de réel, dans lequel il s’interroge sur la représentation du réel sous toutes ses formes et se demande jusqu’à quel point ce dernier peut se prétendre littérature. Avec le récit Montréal-Mirabel, Marie-Pascale Huglo tente de se jouer de ce réel, le sien, pour y insuffler réflexion et poésie et en faire un réel acte littéraire.
En septembre 2014, on annonçait le démantèlement de l’aérogare de Mirabel. Cette nouvelle sonnait le glas d’un rêve qui n’a jamais pris et nous forçait à regarder une dernière fois cet éléphant blanc. La fin du fiasco de Mirabel, un échec à tous points de vue, a forcé Huglo à revenir sur son passé, elle qui est arrivée en terre d’Amérique par cet aéroport encore peuplé de rêves. À travers ces réminiscences d’un échec, ce sont tous les obstacles et les victoires qui ont peuplé le parcours d’Huglo, ici, au Québec, de l’intime au professionnel, de l’Européenne à la Québécoise d’adoption qu’elle est devenue, qui nous sont racontés. Si on y retrouve la fin d’une vie à deux tout comme la fin d’un grand projet jamais vraiment amorcé, c’est surtout le parcours d’une réflexion littéraire qui fascine ici, tellement même dans l’intime l’auteure demeure pudique.
Sous-titré Lignes de séparation, Montréal-Mirabel est une œuvre de territorialité. Ce sont les frontières qu’Huglo (re)définit: celles du souvenir comme celles de la famille, celles de la patrie comme celles du couple. Et dans l’éclatement, elles ne se brisent pas nécessairement, mais elles se redéfinissent. Il semble qu’Huglo tente de les cerner par une œuvre d’une concision habile ainsi que par une langue fine et précise. «Pour moi, Mirabel a été le lieu des migrations. Sur le tard, j’en ai fait le théâtre de ma vie rompue.» Sans ce talent évident, Huglo nous aurait servi un sempiternel récit d’immigration et une énième histoire de rupture, mais quand un style réfléchi s’empare du réel, soudain jaillit la littérature et c’est exactement ce que Marie-Pascale Huglo nous donne à lire.