Replay… et rebelote!
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Replay… et rebelote!

Bizarrement, on s’est mis à parler du temps, de voyage dans le passé, de retour vers le futur. C’était un matin, après l’enregistrement de Dessine-moi un dimanche. On traînait en studio comme on le fait chaque semaine, quelques minutes, pour reprendre notre souffle. Et je ne sais trop pourquoi après voir évoqué 22/11/63 de Stephen King dont fut tirée une série télé, une histoire de voyage dans le temps, un retour dans les années 1960, où un type tente d’empêcher l’assassinat de Kennedy, Jean Dion m’a parlé de Replay de Ken Grimwood.

Jamais je n’avais entendu parler ni de l’auteur ni du roman qui a gagné en 1988 le World Fantasy Award, un prix littéraire dont j’ignorais aussi l’existence et la portée. Bref, cela n’a que peu d’importance. Et Jean, avec un enthousiasme suffisant pour m’intriguer, s’est mis à me raconter les grandes lignes de ce Replay. L’histoire de ce Jeff qui, le 18 octobre 1988, meurt subitement d’une crise cardiaque. Alors dans la quarantaine, ce gars à la vie morne et au mariage déprimant se retrouve du coup dans les années 1960. Il a 18 ans et voilà que sans comprendre ni pourquoi ni comment, il «se réveille» dans sa chambre d’étudiant; et sa vie recommence. La même vie, le même Jeff, mais avec l’expérience accumulée d’une existence précédente.

Et Jeff revit, revit et revit encore, deux, trois, quatre fois. Et à chaque mort, en octobre 1988, ça repart pour un tour.

Doit-on toujours mettre de l’avant les nouveautés, les nouvelles parutions? À quel point pouvais-je parler dans cette chronique d’un bouquin sorti il y a une trentaine d’années? Si la lecture de Replay procure encore du plaisir trois décennies après son apparition sur les rayons des librairies, il vaut sûrement la peine qu’on y revienne. J’y suis revenu.

J’ai eu du plaisir à lire ces tranches de vie revue et corrigée à chaque retour en arrière. Franchement, au départ, j’ai cru à un roman jeunesse saupoudré de science-fiction un peu facile. Et puis je me suis laissé surprendre par les vies de ce personnage attachant qui joue à la roulette en sachant fort bien que son numéro sortira gagnant – mais combien de fois, pendant combien de temps?

Il sait, même s’il mise presque toujours sur le même cheval, ce qui adviendra, mais ses boucles temporelles le trompent et finissent par l’entraîner vers de nouvelles destinées souvent insoupçonnées. Sa mémoire lui permet de corriger les erreurs, mais pas de modifier le cours des événements. Que le nom de l’assassin change importe peu, Kennedy sera toujours assassiné.

De retour en retour, Jeff explore. Il survole l’Amérique, les Antilles, l’Europe, le vice, le plaisir et même la politique. Il expérimente le sexe, les drogues, s’enfonce dans les années 1960 et 1970. Il plane. Littéralement.

Il plane, mais pas seul. Ses vols l’emmènent à croiser l’amour. Lui, le «répéteur», sans jamais comprendre ce qui lui arrive, mais en cherchant à expliquer l’inexplicable, trouve sur son chemin une femme morte elle aussi le 18 octobre 1988 et qui, tout comme lui, vit, revit et revit sans cesse. Il émane de cette rencontre, douceur et tendresse.

Au fil des pages, sans sombrer dans la facilité, même s’il n’est pas né d’une plume exceptionnelle, par sa structure, Replay emmène le lecteur à se questionner sur sa propre existence et son propre rapport au temps. Étonnant. Mais comment terminer ce qui ne finit jamais?

C’est probablement pourquoi, malgré une pirouette à la fin, la dernière page tournée et le livre fermé, on reste sur notre faim. J’aurais voulu continuer à planer avec Jeff, aller ailleurs, pénétrer d’autres zones inconnues, m’abandonner davantage à son délire. Parce que même si je ne suis pas un adepte des romans fantastiques, même s’il ne s’agit pas de grande littérature, même si le style est discutable, on se laisse avaler par cette histoire bien construite, produit d’une imagination fertile.

Grimwood, me semble-t-il avoir lu, avait planifié une suite, mais sa propre mort en 2003 a mis fin à son voyage… et du coup au nôtre.

J’ai aussi de la difficulté à comprendre, peut-être à cause des clins d’œil envoyés à Hollywood et à Spielberg, pourquoi Replay n’est pas devenu un film. Il en a été question en 2010, Ben Affleck devait réaliser et incarner ce voyageur à la recherche du temps perdu, et puis rien. Rien. Le projet a avorté.

Dommage, car c’eût été plus qu’agréable de «voir un monde dans un grain de sable, un paradis dans une fleur sauvage et de tenir, encore un moment, l’infini dans la paume de sa main».

Replay
Replay
Ken Grimwood (trad. G. Caseril et F. Caseril)
Seuil, 432 pages, 1997
ISBN : 9782020321266