Éric Plamondon : Taqawan
Éric Plamondon avait fait une entrée tardive mais fracassante en littérature québécoise. Ce Québécois habitant Bordeaux nous avait surpris avec son premier livre Hongrie-Hollywood Express (Le Quartanier, 2011), premier bouquin de la trilogie 1984 dont s’étaient amourachés bon nombre de libraires jusqu’à le porter trois fois plutôt qu’une comme finaliste au Prix des libraires du Québec. L’après 1984 était attendu avec inquiétudes, plusieurs se demandant comment il ferait après avoir amorcé sa carrière littéraire avec tant de force et d’innovation. Le temps est venu de nous servir son quatrième livre, Taqawan, un livre porté par les flots de la rivière Restigouche, où on y retrouve un Plamondon différent, mais familier.
Le 11 juin 1981, Océane fête ses 15 ans. L’autobus la menant à l’école, à l’extérieur de la réserve, s’arrête au pont Van Horne où policiers et Mi’gmaqs attisent la violence sur fond de pêche illégale. Quelques heures plus tard, elle dort d’un sommeil profond dans le camp de chasse qui sert de logis à l’ex-garde de chasse Yves Leclerc. Ce dernier l’a trouvée presque inconsciente au beau milieu de nulle part, tuméfiée. Le roman de Plamondon empruntera plusieurs sentiers narratifs. On s’y retrouvera à flot sur la Restigouche, dans une chaloupe à moteur avec un garde-chasse, un Indien et un anthropologue, mais pour en arriver là, il faudra attendre les détails et les tergiversations qui font qu’une histoire de pêche tourne lentement à la légende, à la fiction.
On retrouve l’érudition de Plamondon, celle qui a tant plu dans 1984, cette savante alchimie avec laquelle l’auteur parsème son histoire de chapitres en marge, faisant tantôt l’éloge du saumon et de ses dons divins, tantôt l’historiographie des quotas de pêche, si ce n’est pas l’histoire des terres que nous habitons. Roman brillant aux allures de faux polar, Taqawan est un plaidoyer pour la territorialité. Plamondon s’empare de la question tendue et sans fond de la cohabitation de ce nouveau continent qui a déjà des airs vieillis sous les rides de ses torts; il sert ici une habile leçon de littérature contemporaine sans condescendance aucune, une littérature qui bifurque du savoir à la fiction, du réel au littéraire. Doublant ses écrits d’une charge quasi vindicative sur nos incohérences identitaires, il le fait sans jamais plomber son roman d’un ton moralisateur. Comme le dit si bien son personnage: «[A]u Québec, on a tous du sang indien. Si c’est pas dans les veines, c’est sur les mains.»