René Lapierre : Les adieux
Que reste-t-il de l’amour? A-t-il traversé le temps sans flétrir, porté par la candeur des premiers émois? L’avons-nous porté de saccages en renaissances sans le protéger, le croyant inatteignable des vices de notre espèce? En somme, l’avons-nous tenu pour acquis? Telles sont les questions qui hantent l’imposant nouveau recueil du poète René Lapierre. Avec Les adieux, il interroge ici tant le sentiment que le lieu de l’amour, cette espace insécable où on cumule les défaites depuis si longtemps. Le poète s’attaque ici au galvaudé et au commun, une piste embourbée de pièges que seules la poésie et la lucidité de l’écrivain semblent parvenir à désamorcer l’un après l’autre. Dans cette somme de plus de 400 pages, il nous en livre surtout un clair testament au parfum d’espoir aigri plutôt qu’une quelconque chronique nécrologique empreinte de cynisme.
Le recueil se découpe en trois parties – Clartés, Défaites, Commencement – réunissant 17 suites poétiques, commençant toutes par des dates et des lieux avec lesquels il remontera le dernier siècle de catastrophes en désastres quotidiens. Ces clartés et ces évidences dont on s’aveugle, c’est un peu le legs de ce recueil: «Et moi, dans ma langue de bête et dans mon cœur d’orage, je voudrais les offrir comme des bienveillances, des rédemptions.» Le poète désire un réapprentissage amoureux, libéré de tout bon sentiment: «Vous rappelez-vous ce que nous faisaient les peines les plus vives? Combien nous les aimions? À quel point nos colères flambaient plus que nos joies?»
Le tour de force de René Lapierre est de tenir aussi longuement sur ce sentiment – cet événement – qu’on croyait vidé de regards nouveaux. Entrecoupé de faits véritables et de morts passées, le poème revient toujours à son essence: la défaite et l’échec comme seul réel brasier du vrai sentiment. «L’amour est à l’inverse. C’est une vérité crue, un éclat d’infini qui s’enfonce dans votre poitrine; c’est une débâcle de la vie, une chute, une déroute sacrée.» Dans le souvenir et dans le poème, l’espoir est présent et vif, et c’est exactement là où le recueil prend toute son essence: «Puis nous sommes entrés dans une maison. Le monde allait à sa ruine mais nous mettions sur la table, une nappe blanche.»