Certains vous diront que vous retrouverez dans ce livre quelques parfums des Mille et une nuits. D’autres, qu’il recèle d’un je-ne-sais-quoi des Versets sataniques de Salman Rushdie. Je ne suis pas du tout en désaccord avec ceux qui y trouveront quelque chose comme un Peer Gynt moderne, une filiation bien plus grande qu’une simple nationalité partagée avec Ibsen. On pourrait discuter de Vernes et de Knausgaard, mais l’espace est précieux. Si plusieurs s’enflamment à tenter de cerner ce livre, d’y trouver label et famille d’appartenance, c’est que Monsieur Toussaint Louverture – excellente maison d’édition bordelaise – vient de traduire, près de 15 ans après sa parution, Le séducteur de Jan Kjærstad, somme romanesque d’une rare force et d’une grande intelligence.
Qui est Jonas Wergeland? Tout le bouquin de Kjærstad tourne autour de cette question. Grand voyageur à la tête d’une émission de télé norvégienne et parcourant le globe, il est aussi un amant redoutable, mais singulier, un genre de Don Juan nordique; mais il est aussi un veuf éploré, lui qui a retrouvé sa femme gisante dans le salon, froidement assassinée. Toutes ces facettes, Kjærstad nous les donne à lire dans un roman habilement construit qui tisse son personnage non sans l’interroger, par l’entremise d’un narrateur tant anonyme qu’éloquent.
On pourrait se perdre en conjectures et tenter de résumer une certaine histoire du Séducteur, mais ce n’est pas tant là que la qualité du livre réside. C’est dans sa totalité qu’il fascine, dans sa façon de faire dialoguer différents genres et différents styles, dans sa façon, à même le roman, de créer un espace métalittéraire où s’immiscent questionnements et réflexions philosophiques sur notre propre existence et notre rapport aux moments qui nous forment. Kjærstad pose des questions sur la littérature même, sur la labellisation de cette dernière, tout en étant pourtant à pieds joints dans le romanesque. Premier tome d’une trilogie, Le séducteur nous donne à lire un roman qui, comme une fête, célèbre les limites franchissables de la littérature.