Près de 20 ans après Le bonheur a la peau glissante, Abla Farhoud entreprend le chemin inverse quant à ses origines. Elle qui a peaufiné une œuvre hautement littéraire sous le signe de l’immigration nous propose ici un roman ancré dans le Liban de son enfance et celui de sa redécouverte. Une famille installée à Montréal depuis plus d’une quinzaine d’années revient au pays pour y chercher l’ombre rédemptrice sous les cèdres de ce pays du grand soleil. Avec Au grand soleil cachez vos filles, Abla Farhoud livre ici un roman près d’elle, mais dont elle parvient pourtant à extirper l’universalité. À sa lecture, il nous semble évident que le roman est aussi important pour elle qu’il l’est pour son œuvre.
Ils arriveront au village par délégation, sur des vols séparés. Certains reviennent à la maison, d’autres découvrent le pays de leurs ancêtres. Youssef n’a jamais quitté le Liban, il est le cousin facilitant ce retour au bercail. Cousin du patriarche, il ira, une à une, chercher les cohortes à l’aéroport. Construit comme un roman choral dont on ne sent absolument pas la lourdeur du mécanisme, l’histoire se déplie sous différents regards, sous différentes vérités. Ikram n’a jamais connu le Liban dont son père parlait tant. Elle qui étudiait pour devenir actrice à Montréal n’a laissé ni ses rêves ni sa détermination de l’autre côté de l’océan, au grand dam de ses parents. Abid, lui, est un homme brisé, celui dont on parle peu, espérant ne pas faire ressurgir les erreurs du passé. Le retour au pays n’est pour lui qu’un automatisme du clan, dont il suit les directives sans mot dire. Et Faïzah, la sœur matrone, à qui on ne dit jamais merci, mais sans qui la maisonnée ne saurait survivre.
Si plus on avance dans le roman d’Abla Farhoud, plus on se rend compte que ce qui semblait une quête initiatique se transformera pour tous en un chemin de croix aux conclusions bien personnelles, jamais les arcs narratifs ne sont dessinés au gros marqueur. La finesse de Farhoud dans la construction de ce roman concis est épatante. Au détour, on y retrouvera un Moyen-Orient où Nasser fait ses premières armes, ces années 1960 de tous les possibles, ainsi que ce choc extrêmement violent entre deux visions sociales et conjugales qui n’ont rien de complémentaire.