La nouvelle littéraire est un genre difficile à maîtriser, en plus d’être peu lu. Lorsque bien exécuté, l’art de la nouvelle est pourtant aussi jouissif, voire plus, que tout bon roman. Lorsque la nouvelle est ciselée, efficace et qu’elle ne répond pas invariablement à la dictature de la chute, elle peut être marquante et efficace. Avec Nous sommes bien seules, Julie Bosman signe un recueil de nouvelles cohérent qui s’inscrit comme une variation sur un même thème. Fruit d’entrevues faites avec des femmes solitaires, le recueil transmet ici le réel à la fiction avec pudeur. L’auteure parvient à inscrire clairement son ton sans sombrer dans le piège trop souvent inévitable de la répétition.
À la façon d’une documentariste, Bosman a fait des recherches sur son sujet et l’a cerné. Une série d’entrevues avec des femmes de tous âges, chacune vivant sa solitude à sa manière. Inspirée par l’écrivaine biélorusse Svetlana Alexievitch, Bosman tente de cerner le réel par la fiction. Elles sont veuves, divorcées, célibataires, errantes, mélancoliques ou nostalgiques, et toutes tentent de définir leur solitude. Au fil du recueil, leurs vécus se croisent parfois. Il y a dans leur solitude un souvenir doux-amer des bras de l’autre, d’une chaleur humaine, d’un besoin d’être à deux. Il y a celle qui vit avec son chien, celle qui raconte ses aventures hors mariage à ses enfants, cette veuve dès l’âge de 26 ans. Toutes, si différentes et identiques, se rejoignent au cœur de ce premier livre.
En nouvelle, la concision fait foi de tout, le temps est compté. Bosman parvient à brosser des portraits au détour d’une phrase, évite les descriptions inutiles, n’amène que les personnages secondaires qui font avancer le propos. Son écriture sert ses sujets avec une tendresse qui désarçonne le lecteur. Nous sommes bien seules se lit comme une rare invitation, une errance solitaire qui ne serait pas sans déplaire à Rousseau. Les fragments de vie que Bosman donne à lire sont une pause essentielle à l’ère de nos constantes relations virtuelles et de nos vies hyperconnectées.