Je ne suis pas certain que j’aurais ouvert un livre avec un titre pareil, La vie rêvée des grille-pain, mais j’étais intrigué. En plus, ma collègue Karine n’avait eu pour ce bouquin que des mots et des formules de rêve et d’imagination, ce qui a fini par me convaincre de le lire.
De plus, l’auteure, dont je n’avais lu aucun livre, avait, à mes oreilles, un vrai nom d’écrivaine: Heather O’Neill. Elle n’est pas la fille d’Eugene O’Neill. Eugene est mort il y a trop longtemps. D’ailleurs, sa fille s’appelait Oona. Elle était très, très belle et fréquentait la jet-society new-yorkaise. Adolescente, mystérieuse et séduisante, elle était une cliente assidue du réputé Stork Club, où elle côtoyait Truman Capote et J. D. Salinger. Salinger, d’ailleurs, est tombé follement amoureux d’elle, mais pas elle de lui. Oona ne l’a donc pas retenu quand il a décidé de s’enrôler et de partir à la guerre. Et Oona est partie à Hollywood pour faire l’actrice. Elle a rencontré Charlot. Oui, Charlot: Charlie Chaplin. Oona a donc épousé Charlot et est restée madame Charlot pour le reste de ses jours. Ah! l’amour!
Tout ça pour vous dire que c’est important le nom. Hemingway, par exemple, ne pouvait qu’écrire. Avec un tel nom, Camus, me direz-vous, aurait pu devenir fonctionnaire ou professeur; Genet, lui, peut-être acteur. Ne l’était-il pas d’ailleurs? Heather O’Neill, elle, ne pouvait donc être qu’écrivaine. Une écrivaine qui, étrangement, admirait Genet, Gorki, Duras et Marie-Claire Blais, oui, Marie-Claire Blais.
De plus, ai-je appris en fouillant un peu, elle est née à Montréal et a étudié à McGill. Peut-être d’ailleurs, le hasard étant ce qu’il est, l’ai-je déjà croisée, blonde, ses cheveux courts au vent, le regard sombre perdu dans des pensées étranges, grimpant l’avenue des Pins vers l’Hôpital Victoria, son sac plein de feuilles sous le bras.
Bref, Heather O’Neill a déjà, à l’heure qu’il est, écrit quelques livres, dont un en tout cas, La ballade de Baby, qui a connu un immense succès. Bizarrement, elle n’avait jamais été traduite ici, et la traduction française de son ouvrage La ballade de baby sonnait un peu comme du Mordecai Richler tartiné de foie gras et digéré par Bourvil.
Or, un éditeur d’ici a confié ce voyage au cœur de la fantaisie à Dominique Fortier. Du coup, le français d’ailleurs a pris le goût et les saveurs de celui d’ici.
Ce n’est pas un roman. Et comme, histoire de citer Alain Resnais, la vie est un roman, ce n’est pas la vie non plus. Ce sont des histoires, des nouvelles, des fables, des illusions couchées sur papier, l’irréel en mots, en phrases, en récit.
Heather, je me permets de l’appeler Heather avec le «th» résonnant comme «de», Heather, donc, m’a tellement entraîné ailleurs, ailleurs, ailleurs que sur la pelouse, ailleurs que sur le bitume, ailleurs que dans les couloirs froids de Radio-Canada! Elle m’a fait rêver et m’a raconté, à moi qui vais bientôt être grand-papa (si ce n’est déjà fait), que l’océan déposait les bébés avant que ne se retire la marée. C’est con, parce que j’ai toujours cru que c’était les cigognes qui les emmenaient, ou qu’ils naissaient dans les choux, lesquels, cette année, en raison de ce septembre caniculaire, sont énormes. J’en conclus que les bébés, s’ils ne sont pas rejetés par la marée, sont énormes aussi.
J’ai aimé aussi ce petit bonhomme tzigane et son ami l’ours, ces jouets qui, abandonnés un moment par le petit garçon qui devait aller souper, en ont profité pour prendre vie. Et en bon Tzigane, il est parti sur la route et a joué du violon. Et en bon ourson, l’ours a cabotiné. Une balade qui les a menés au bordel. Ne me demandez pas pourquoi. Le Tzigane avait besoin de dormir et avait besoin d’aimer.
Et Jésus qui était en sixième année, et les Noureev clonés et reclonés qui, finalement, dans ce petit village du Bas-du-Fleuve, n’aimaient pas particulièrement danser, et les anges descendus pour «sauver» les soldats débarquant sur une plage de Normandie, et la petite O qui flirte avec le désir plus qu’avec le sexe…
Je vous entends: «Pourquoi La vie rêvée des grille-pain?» Parce que 4F6, une androïde qui aimait regarder les étoiles, s’est éprise de BX19, à qui elle a demandé de l’embrasser tendrement. Le choc fut grand, si grand qu’est tombé d’entre les draps «un petit personnage aux allures de bonhomme allumette»… Un enfant de l’amour, seul au monde… seul au monde… seul au monde.
Je n’en dirai guère plus.