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Naomi Fontaine : Manikanetish

Que peut le théâtre contre la misère du monde? Combien de fois sommes-nous l’étranger alors que nous sommes entouré des nôtres? Quels événements nous projettent si jeune dans l’âge adulte? Six ans après son splendide Kuessipan, Naomi Fontaine revient avec Manikanetish, replongeant son lectorat au cœur d’Uashat, réserve innue au nord de Sept-Îles. Une enseignante fraîchement diplômée quitte Québec, laissant derrière elle son copain pour y prendre une charge d’enseignement secondaire. Cette idée de revenir à la maison pour redonner à la communauté qui l’a vue grandir s’effritera au contact de ses élèves; rapidement, ce sont ces derniers qui lui ouvriront les yeux.

Manikanetish signifie «Petite Marguerite», c’est aussi le nom donné à l’établissement scolaire où Yammie s’installe pour l’année, baptisé ainsi en la mémoire d’une femme sans enfant ayant pourtant passé sa vie à en élever plusieurs dizaines. L’enseignante s’installe au premier jour devant la classe, tout aussi motivée qu’elle est terrifiée. Au fil des courts chapitres meublant le roman, on découvrira avec elle Mélina, celle qui sait trop bien écrire pour son âge, Rodrigue, le flanc mou qui l’affrontera devant tout le monde, Marc, celui qui s’absentera rapidement pour suivre sa mère malade à Québec, et tant d’autres. Sans fignoler un roman polyphonique, Naomi Fontaine tisse habilement un réseau d’impacts entre l’enseignante et ses élèves, chacun représentant une singulière chambre d’échos pour chaque misère nous habitant. Familles disloquées, filles-mères, enfants abandonnés et sœurs suicidées sont autant de drames qui forment la faune de cette classe, classe dans laquelle jamais personne ne semble se délester de ses tragédies quotidiennes en y entrant. Bien que le choc soit réel pour Yammie, elle conçoit très vite qu’elle ne peut les laisser tomber et entreprend de les embarquer dans un projet un peu fou: monter Le Cid de Corneille comme spectacle de fin d’année.

Rythmée par un découpage concis, fonctionnant presque à la façon de vignettes, l’année scolaire se déroulera sous nos yeux, la confiance se bâtira lentement, menant petit à petit chacun de ces jeunes dans une entreprise dont ils ignorent eux-mêmes l’importance. Comme dans Kuessipan, l’écriture de Fontaine en est une lumineuse qui parvient à montrer et à nommer les détresses et la violence sans pathos aucun. En résulte une lecture tout aussi bouleversante qu’à échelle humaine, d’une grande efficacité comme l’est d’ailleurs son brutal incipit: «Revenir est la fatalité.»

Manikanetish
Naomi Fontaine
Mémoire d’encrier, 150 pages, 2017
ISBN : 9782897124892