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Entrevue BD: Samuel Cantin

Il y a sept ans, les Éditions Pow Pow eurent la bienveillante et clairvoyante idée de sortir Sam Cantin du blogue où il s’était niché afin de présenter ce talent hors norme à un plus large public. Trois albums plus tard, il nous revient enfin avec la suite très attendue de son désopilant (et bien déjanté) Whitehorse. Rencontre avec un auteur en ascension. 

La discussion est tranquille sur le bord de la voie ferrée du Canadian Pacific. Le ton calme et posé de Samuel Cantin détonne face aux personnages exubérants dont regorgent ses récits. Toutefois son sourire ne dément pas: cet homme est né avec le don du rire. Et ces livres en font foi. Nous n’avons qu’à penser au personnage du psychologue Stefano Von Strudel dans son inclassable Vil et misérable (publié chez Pow Wow en 2013) pour s’en convaincre; peu d’auteurs peuvent se targuer d’avoir accouché d’un personnage aussi hilarant et doucement vulgaire.

Il faut d’ailleurs se rendre à l’évidence: les dérives de langage font parties des ressorts humoristiques que l’auteur manie avec une réelle adresse. Aussi, la comédie qui se retrouve dans l’univers de Samuel Cantin tire son jus d’un humour caustique et grinçant, jalonné de joual, d’anglicismes, d’expressions courantes et de situations hautement improbables et malaisantes. Un combo potentiellement casse-gueule dont l’auteur esquive tout écueil par son talent indéniable de raconteur d’histoires.

Mais le talent n’explique pas tout. Comme dans toute œuvre bien faite, il y a la patience du travail, et la passion de l’écriture. «Quand je suis arrivé au cégep, je voulais écrire des romans coûte que coûte. C’était ça mon rêve, explique-t-il. Mais je suis content de ne pas avoir sorti ce que j’écrivais au début de ma vingtaine parce que ce serait vraiment embarrassant si ça avait été publié.» C’est pourtant de ces cartons issus de son parcours scolaire en production cinématographique à l’Université Concordia et en études littéraires à l’Université de Montréal qu’ont été imaginées les histoires de Vil et misérable et de Whitehorse. «Vil et misérable, c’était un court métrage que j’avais fait à Concordia. C’était la même prémisse, mais j’étais très peu satisfait, évoque-t-il en se rappelant les problèmes techniques encourus et les compromis exigés par la production. Puis, à un moment donné, j’ai réalisé qu’avec la BD je contrôlais tout, je pouvais écrire mon histoire sur 150 pages… Sky’s the limit.»

photo Ami Vaillancourt
photo Ami Vaillancourt

Et force est d’admettre, en lisant Whitehorse – deuxième partie, que Samuel Cantin continue de n’avoir guère de limites. Ni d’en avoir cure. «C’est dur d’aller contre ma nature, dit-il. Oui, y a plein d’affaires qui me «gossent» dans Whitehorse – y as-tu trop de slang? Ça vas-tu mal vieillir à cause du langage? Mais on dirait que je ne suis pas prêt à les enlever parce que ce ne serait plus moi. J’aimerais ça faire une œuvre avec une musique toute douce, épurée, contrôlée, mais j’ai toujours ce désir outrancier… On dirait que j’ai pas le choix d’aller plus loin, des fois.» Ça, pour aller loin… disons que même s’il n’y est jamais allé, le ville de Whithehorse n’est pas la porte à côté! Il a fallu un deuxième volume pour que le personnage d’Henry s’y rende enfin. Et la représentation graphique de la ville avec ses pélicans carnivores géants qui la surplombent n’est qu’une autre des douces folies que Samuel Cantin aime cultiver.

Dans le premier volume, Henry voit Laura le laisser pour aller à Whitehorse tourner un film dont elle est le premier rôle féminin. Dans ce nouvel opus, notre héros quitte vers le Yukon accompagné de son meilleur ami afin de reconquérir sa belle et de l’arracher aux griffes de Sylvain Pastrami, le réalisateur absolument inénarrable qui menace la pérennité du couple. À la façon de Stefan Zeig, qui développait ses récits dramatiques en plongeant au coeur des subtilités, des nuances et des couleurs d’une émotion choisie, Samuel Cantin a développé sur plus de 500 pages une comédie burlesque et fantaisiste autour du spectre très nuancé d’une grande dérive de l’amour: la jalousie. «Zweig est une bonne comparaison, opine l’auteur. Une de ses obsessions, c’était les monomaniaques, des personnages obsédés par une chose, et Henry en est un.»

Un portrait de l'auteur à caractère humoristique par Bruno Rouyère
Un portrait de l’auteur à caractère humoristique par Bruno Rouyère

Quant à l’auteur, écrire demeure le seul objectif. «J’ai dit haut et fort que je voulais scénariser, peu importe que ce soit pour la BD, la télé, le théâtre… et j’ai été approché par une maison de production qui aime mes BD. J’avais pas trop d’idées au départ puis j’ai pensé à l’histoire d’un magicien vedette, à la Luc Langevin, qui possède de véritables pouvoirs magiques, mais qui est blasé parce que sa carrière va trop bien. J’ai écrit une saison pour une websérie qui sera diffusée sur le site web de Télé-Québec. On a obtenu le financement et on va commencer le tournage en février.»

Un projet d’adaptation de Vil et misérable pour le cinéma est également en chantier, mais tout en regardant la voie du chemin de fer, il évoque une histoire de western pour son prochain bouquin. «Jamais je ne vais arrêter de faire de la BD, c’est là où je suis le plus libre, conclu-t-il.» Ce qui ne peut être qu’une bonne nouvelle pour ceux d’entre nous qui lisent Samuel Cantin et qui en redemandent. Tout en souhaitant que le grand public adopte enfin cet artiste singulier, et embarque dans le train.

Whitehorse — Deuxième partie de Samuel Cantin (Éditions Pow Wow), disponible le 14 novembre 2017

 

LES SUGGESTIONS LECTURE DE SAMUEL CANTIN

Wendy – Walter Scott: «Parfaite satire du type «art school Concordia», Wendy est hilarante.»

Peep Show – Joe Matt: «Une grande influence pour moi. Quand j’ai lu ça à l’adolescence, ce fut une révélation de voir que l’on pouvait aller aussi loin dans l’honnêteté et l’humour, avec un personnage pas nécessairement «attachant».»

Michel Risque en vacances – Réal Godbout et Pierre Fournier: «Un livre très important pour moi. Je l’avais acheté dans un dépanneur autour de 1994. Encore là, c’est une révélation. À première vue, on était dans Tintin, avec le début sur la lune et la typo, mais surprise: l’humour était trash et très québécois, les péripéties complètement absurdes et on y voyait parfois des seins. Chef-d’oeuvre!»

Georges et Louis romanciers – Goosens : «Encore là, voici un classique personnel, pour les dialogues absurdes et le niveau de langage très littéraire, l’absence d’intrigue, etc. Tout ce que j’aime!»

Megahex (Megg, Mogg & Owl) – Simon Hanselmann : «C’est Alexandre Fontaine Rousseau qui m’a suggéré ça. Il avait raison sur toute la ligne, c’est vraiment dans mes cordes: une sorcière et son chat stoner qui martyrisent leur coloc, une chouette, de l’humour parfaitement méchant.»