«Sa» mère avait raison
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«Sa» mère avait raison

Oui, «Sa» et pas «Ma» comme dans le titre de son plus récent roman. Parce que c’est vrai que si sa vie n’est pas à ce point romancée qu’elle en devient fausse, elle, Fanou (c’est son nom), avait raison de vivre comme elle l’a fait. Libre. Libre jusqu’à frôler l’inconscience. Libre jusqu’à l’excès. Libre jusqu’à l’intransigeance, jusqu’à la folie, sans être sage ni juger, sans avoir peur.

Je n’ai jamais été très Alexandre Jardin. Je l’ai souvent trouvé un peu cucul dans son romanesque. Ce qui ne m’a pas empêché, dans tout mon paradoxe, plus jeune, d’apprécier Le Zèbre qui reçut le prix Femina et puis Fanfan. J’aimais son goût de la conquête, je crois. Son goût de l’amour absolu. C’était romantique. J’étais romantique, je suppose.

Lorsqu’il a porté Fanfan au cinéma, je suis même allé sur son plateau dans les studios à Boulogne-Billancourt. Je ne me souviens plus trop comment je me suis retrouvé là. Concours de circonstances probablement. J’y ai vu à l’œuvre un jeune garçon enthousiaste, que la passion du cinéma consumait, probablement parce qu’il avait vu cet art de près pendant son adolescence, grâce à un père scénariste et des cinéastes importants qui vivaient avec lui. Entre vous et moi, je me rappelle très bien que j’étais plus excité à l’idée de rencontrer son héroïne incarnée par Sophie Marceau qu’à celle de l’interviewer, lui.

Ceci n’était qu’une petite parenthèse.

En fait, après, j’ai pendant longtemps délaissé cet auteur descendant de Jaurès, jusqu’à ce qu’il écrive sur sa famille, son grand-père collabo et maintenant sa mère, femme d’exception s’il en est et à qui le petit et le grand Alexandre vouent amour, bien sûr, mais aussi admiration, voire adulation et dévotion.

J’ai commencé par feuilleter quelques pages de Ma mère avait raison grâce, je ne le cacherai pas, à la photo de couverture révélant une femme à la beauté si atypique et au regard si perçant qu’ils invitent à la découverte.

Pendant ma lecture relatant l’existence extraordinairement libre de cette mère peu commune, j’ai entendu, à l’émission de Marie-Louise Arsenault, Pierre Lebeau parler de Bukowski et d’un ouvrage regroupant des lettres écrites à des éditeurs, des directeurs de revue, des confrères, des amis, etc. Or, là où Lebeau m’a interpellé, ce n’est pas tant dans sa lecture de Bukowski, mais plutôt dans les raisons qui l’ont poussé à s’arrêter sur cet auteur à la vie dissolue dans l’alcool.

«Ce qu’il représente, exprimait ce jour-là Lebeau en parlant de Bukowski, c’est quelque chose qui n’existe presque plus maintenant. On vit dans une telle époque de pudibonderie, de puritanisme, de rectitude politique… Probablement Bukowski pourrait-il écrire encore aujourd’hui, mais ça resterait dans ses tiroirs. Je pense que plusieurs de ses textes, sérieusement, seraient interdits de publication. On dirait qu’il est misogyne (on n’aurait peut-être pas tort), violent, provocateur… Or ces personnes-là, on en a besoin. Elles représentent un peu un phare. Alors qu’en ce moment, on traverse une période éteignoir où presque plus rien n’est possible, dans l’expression et dans le geste. Pour moi, ce Bukowski représente la liberté.»

Je ne sais pas si le couperet de la censure s’abattrait sur son œuvre. Je ne crois pas. Je crois au contraire que la littérature est encore la seule terre de liberté, avec tout ce que le mot liberté comporte d’exagération, de délire, de fantasmes, d’audace, d’irrévérence et de courage. C’est pour ça que cette parole, répondant ou non à la morale du temps, il faut la propager et la sortir des tiroirs.

Maintenant, loin de moi l’idée de comparer Fanou à Bukowski, mais si on en croit son fils, la vie qu’a menée cette femme à son époque, les hommes avec qui elle partageait simultanément, sous le même toit, son amour et son lit, Pascal (Jardin), Claude (Sautet), Jacques (Santi) peut-être même Robert Enrico, l’acceptation que le sexe est une joie si pure qu’elle permet à Pascal de ramener à la maison, chez lui, chez elle, chez eux, la sulfureuse Régine Deforges… Cette quête de l’écriture et cette poursuite de l’art qui ont engendré les films de Sautet, mais aussi le phénoménal Le Vieux fusil de Robert Enrico, tout cela serait-il encore possible aujourd’hui?

La question se pose-t-elle? Toutefois la phrase retenue par Alexandre Jardin et formulée par sa mère est toute simple: «Mon chéri, il faut avoir le courage d’aimer.» En fait, le livre repose sur ces neuf mots, parce que pour Jardin, à en croire ce récit, c’est du courage de vivre qu’il est question.

Ma mère avait raison
Ma mère avait raison
Alexandre Jardin
Grasset, 216 pages, 2017
ISBN : 9782246863786