Daphné B. : Delete
Écrire le vide est toujours un chantier risqué, la chambre d’échos est trop vaste pour ne pas bien manier le poids des mots. C’est dans cette entreprise que s’est lancée Daphné B. avec son dernier livre, Delete, publié à L’Oie de Cravan, à mi-chemin entre recueil en prose et récit poétique, où elle sublime avec talent le réel dans sa plus grande quotidienneté. Après Bluetiful paru en 2015 aux éditions de L’Écrou, on ne peut s’empêcher de penser, à la lecture de Delete, que l’auteure poursuit une réflexion entamée depuis longtemps et qu’elle parvient à éviter la redite en livrant son texte le plus maîtrisé où «[l]’on échoue parfois dans des endroits où rien ne bouge».
On entre dans Delete comme dans un journal intime ou un carnet de voyage. Entre Charles qui, comme les termites, «revient en arrière, vers une source d’humidité» et une mère qui simule sa mort pour catalyser une prospérité, on croisera aussi le fantôme de Francesca Woodman, les mots de Joan Didion et Anne Carson, en plus de ceux de Clarice Lispector citée en exergue de l’ouvrage ou encore l’illustration de couverture signée Julie Delporte. Car aussi personnel le discours puisse-t-il être, il est construit comme une constellation: une courtepointe d’auteures créant ainsi des vases communicants entre le récit de soi et celui de l’écriture. C’est un peu ce qu’est Delete, un livre bien plus grand qu’un voyage à Taipei, qu’une peine d’amour ou qu’un questionnement sur la filiation maternelle; c’est une conversation multiple qui est tout sauf un repli sur soi.
Si «[l]es mots utilisés à tort et à travers par des gens abîmés ne veulent plus rien dire», c’est donc à même la discussion entre l’écrivain et son lecteur que le sens devra être trouvé. Et dans ce dialogue, Daphné B. laisse une place de choix à son interlocuteur. On fréquente avec Delete les inquiétudes à la fois viscérales et juvéniles de l’écriture qui s’immiscent dans la simplicité d’un souvenir ou encore dans l’intelligence du phrasé, même si ce n’est que pour nous raconter «tous les jours la même histoire, la lessive, les poubelles, les portes qu’on ouvre et qu’on barre».