Suzanne Myre : L’allumeuse
Les nouvellistes sont de précieux écrivains. Il n’est pas donné à tous d’avoir une telle concision dans la création, de parvenir, au détour de quelques pages, à créer des mondes où vivent des personnages beaucoup plus grands que le papier qui les portent. Après deux romans, Suzanne revient aux nouvelles avec L’allumeuse, elle qui, forte de cinq recueils, n’en avait pas publié depuis plus de 10 ans. Si on retrouve dans ce livre la douce ironie et l’humour certain qui ont fait la marque de l’auteure, on dirait qu’elle a ici les dents plus affûtées avec, en bouche, le goût du sang, alors qu’à son cou, son pouls semble crier: «Vengeance!»
Les histoires nous transportent à Montréal-Nord, quartier malfamé et mal-aimé de la ville. Tant les lecteurs que les protagonistes partagent l’idée qu’ici, les rêves viennent mourir et non éclore. Il y aura d’abord cette «allumeuse», Annabelle, qui découvrira malheureusement son corps sous les mains du bedeau de l’église où sa mère la traîne, elle et ses frères, chaque dimanche. Puis cette petite de 10 ans qui prend très mal que sa mère désire désormais se faire appeler «Julie», parce que ça fait plus jeune que «Maman». Et une autre qui trop rapidement se retrouvera au ciel sans trop comprendre pourquoi et tentera de hanter celui qui lui a fauché la vie. Ou encore la nouvelle «Victorinox» qui, affublée d’un tel titre, ne peut pas vraiment bien se terminer.
Tout au long du recueil, les jeunes femmes apprennent à se faire justice seules, sachant qu’il leur est impossible d’avoir une meilleure alliée que leur fureur. Dans un quartier austère qui n’a bien souvent de littéraire que le nom des rues (la rue Balzac est le théâtre de plus d’une nouvelle), Suzanne Myre crée de flamboyants personnages qu’elle place dans de terribles circonstances, n’hésitant pas à faire errer ses héroïnes d’un texte à l’autre, elles qui passent d’histoire en histoire comme des rumeurs tout aussi farfelues que terrifiantes. Et malgré la violence et les drames, c’est encore l’humour (noir) qui prime ici, comme en témoigne le préavis de décès que l’auteure signe elle-même en fin de recueil!