RHR… Lui
J’ai marché dans ses pas pendant des décennies. Je l’ai côtoyé. Nous avons eu des amis communs. Nous avons travaillé ensemble. J’ai été plus d’une fois chroniqueur à des émissions qu’il animait. Pendant 11 ans, plusieurs mois par année, j’ai occupé son fauteuil à C’est bien meilleur le matin; et j’en passe. Donc impossible pour moi de prétendre que je ne le connais pas du tout et que je découvre sa vie dans Moi, sa biographie.
Or, René Homier-Roy est un homme très discret, qui parle beaucoup mais peu de lui, et voilà qu’avec la complicité du journaliste Marc-André Lussier, il a accepté de se confier, de se raconter. Toutefois je mentirais en vous disant que je n’ai rien appris.
J’ai découvert le parcours d’un homme qui, porteur d’un nom composé, ce qui était plutôt rare chez les gens de sa génération, en arborant fièrement une allure de dandy comme se plaît à le souligner Lussier et avec une élégance certaine peut témoigner à lui seul de l’histoire culturelle du Québec des 60 dernières années. Il était là, partout, toujours: journaliste d’abord, critique, chroniqueur à la radio et à la télé, animateur bien sûr. Il a aussi donné naissance à des magazines comme Nous, qui était le miroir d’une époque. Il a connu beaucoup de hauts, mais aussi des bas desquels il s’est relevé. En somme, il était là, avant, alors que la noirceur recouvrait encore le Québec et pendant qu’émergeait la lumière. Il était là et il y est toujours.
On en apprend. D’abord sur son enfance, sur sa famille, sur les périodes difficiles que ses parents et sa fratrie ont eu à traverser. Il était un enfant timide, très timide. Peut-être est-ce pour cela, en fait, qu’en luttant contre sa réserve naturelle, René est devenu un si bon communicateur. Comme tant d’autres d’ailleurs.
On comprend son amour pour l’architecture, pour les espaces où on respire et son horreur des appartements si montréalais qui s’éternisent en longueur. On découvre son goût pour les sciences politiques qu’il a étudiées à l’Université d’Ottawa.
Dans cette danse pas toujours naturelle avec Marc-André Lussier, on découvre un homme fidèle en amitié, en amour. Des amitiés qui se comptent sur les doigts d’une seule main et qui ont duré une vie. Sa vie auprès d’un homme à peine plus vieux que lui, le réalisateur Pierre Morin, qu’il a connu dans sa jeune vingtaine. Il est mort il y a quelques années d’un problème cardiaque dans leur maison des Cantons-de-l’Est. Il se confie sur la perte coup sur coup, en quelques mois, de ses amis Jean-Louis, Marie-Hélène et Pierre, son homme, sa douleur, son deuil, mais surtout sa résilience qui l’ont ramené sans attendre à son micro.
Il se rappelle, lui qui n’aimait pas encore la danse, sa visite chez Balanchine à New York. Il se souvient du premier film qu’il a vu et de la révélation que fut Bergman. Il raconte le haut-le-cœur que lui inspire Rohmer, ce qui m’a chez lui toujours beaucoup fait rire. Il évoque son passage à La Presse où il était responsable de Spec, cette section déjà révolutionnaire.
Il est de Woodstock, de mai 1968 et de la montée indépendantiste. Il est des Belle-Sœurs de Tremblay, de L’Osstidcho et de Jaune, comme d’autres avant lui avaient été «de lacs et de rivières, […] de sucre et d’eau d’érable, de Pater Noster, de Credo».
Dans ce Moi qui pourrait être un peu nous, on apprend ce qu’il pense aujourd’hui de la radio publique qu’il aime tant, mais qui l’a aussi blessé le jour où, après 15 ans, il a quitté l’animation de C’est bien meilleur le matin. Il soulève l’inélégance occasionnelle dans ce métier. Il se prononce ouvertement, ce que, par réserve professionnelle, il n’a jamais fait.
Maintenant, je ne peux faire autrement que vous communiquer mes réserves sur cet ouvrage. J’aurais souhaité que cette vie qui est loin d’être finie, j’en suis certain, me soit racontée de façon chronologique, du début à la fin, sans sauts dans le temps, sans ellipses. J’aurais aussi préféré, même si on retrouve la plume de René à la fin de certains chapitres, que cette biographie soit en fait une autobiographie, écrite de la main de René, qu’il se raconte lui-même, qu’il s’enfarge à l’occasion, qu’on le découvre intimement derrière chaque mot, chaque virgule.
Quand on lui demande pourquoi il ne l’a pas fait et pourquoi il a tardé, RHR répond qu’il est trop paresseux. Je le crois. Après avoir tant fait, la paresse devient un privilège.
Cela dit, ces quelques bémols n’enlèvent rien au plaisir que j’ai eu à lire, même entre les lignes, le parcours de celui qui, sans le savoir probablement, a été un de mes maîtres.