Chloé Savoie-Bernard : Corps
Si les recueils de nouvelles sont par définition inégaux, les collectifs qui tentent de réunir sous un même toit et sur un même thème une myriade d’écrivains tous azimuts ont souvent des allures de brocante où les trouvailles sont toujours présentes, mais rares. Le risque était donc là lorsque Chloé Savoie-Bernard a convié 13 autrices et auteurs à aborder le corps sous toutes ses coutures dans un recueil du même nom. L’actualité criante du thème et la pluralité d’esthétiques présentées dans le recueil ont donné la main heureuse au projet de Savoie-Bernard, créant par le fait même un livre d’une efficace densité, sans temps mort, proposant au détour de nouvelles voix littéraires qui ne pâlissent pas aux côtés de celles ayant plus de métier.
Conviant Martine Delvaux, Catherine Mavrikakis, Maxime Raymond Bock, Carole David, Maude Veilleux, Alice Michaud-Lapointe, Kevin Lambert, Anne-Renée Caillé, Katia Belkhodja, Laurence Bourdon, Marilou Craft, Emmanuelle Riendeau et l’auteur-compositeur-interprète Philémon Cimon, Corps propose de manière frontale tous les angles morts qu’on souhaite éviter lorsqu’on se retrouve devant le miroir. Le projet de Savoie-Bernard désire «fouiller longtemps, ratisser poèmes et récits, nouvelles et essais, patiemment, afin de trouver ces bouts de bras, ces bouts de jambes, ces morceaux de corps que nous emprunterons, que nous volerons peut-être même afin de nous constituer, enfin, un corps qui nous ressemble». Du lot, malgré une surprenante cohérence pour l’exercice, le texte d’Emmanuelle Riendeau ressort par sa charge inénarrable. Extraction en cours se lit comme un manifeste et se reçoit comme un poing sur la gueule, alors que dans une langue qui lui est unique la poète y invite la culture populaire – Gildor Roy, Ted Nugent, Linkin Park et plusieurs autres – pour célébrer un corps dans toutes ses bassesses et sous tous ses éclats.
Les corps ici sont tantôt différents, tantôt métaphoriques, ils s’exposent comme ils se récusent, ils s’excusent au même moment où ils nous font un doigt d’honneur. Intime, sensuel, mais surtout précaire, le corps n’est pas ici autant célébré qu’il est disséqué. Si notre humanité nous rapproche, notre mortalité nous soude. Et cette péremption – qui ne nous guette point, mais qui nous attend tous – erre en ces pages, autant dans le regard de l’autre que dans le nôtre.