Claire Messud : La fille qui brûle
Il y a des lieux que la littérature ne peut s’empêcher de fréquenter encore et encore. L’adolescence est un terrain fertile où le réel et la fiction peuvent communier. De cette rencontre, plusieurs auteurs tracent divers sentiers au sol et tentent de cerner à nouveau tout ce qu’on perd dans le brasier qu’est le passage à l’âge adulte. Avec La fille qui brûle, l’écrivaine américaine Claire Messud dépeint avec retenue, et non pas sans style, une amitié symbiotique qui, comme trop souvent, s’étiole dans le temps. Comment, en l’espace d’un instant, peut-on s’éloigner au point de devenir étranger l’un à l’autre, même si, malgré tout, un fil invisible de souvenirs forgés à même l’amitié et l’enfance persévère à nous unir?
Julia et Cassie sont inséparables. Elles errent dans un petit bled, arpentant leur jeunesse avec cette certitude que chaque coin de rue peut révéler un monde nouveau, neuf et vierge de regards. Un peu comme dans L’amie prodigieuse, la saga napolitaine d’Elena Ferrante, le lecteur devine rapidement qu’une réussira mieux que l’autre, diktat social oblige. Si Julia, la narratrice, est fille unique d’un père dentiste et d’une mère journaliste, Cassie est élevée seule par sa mère, Bev, une infirmière dévouée, toujours heureuse, qui ne rate jamais une soirée d’études bibliques. La première partie est celle des après-midi à la carrière ou des périples dans la «forêt tentaculaire» à chercher un passage jusqu’à l’asile désaffecté, alors que la deuxième sera celle de l’éloignement où, pour d’inexplicables raisons, les orbites se désynchronisent. Ce n’est qu’en fin de roman, dans la troisième et ultime partie, qu’on abordera la disparition annoncée de Cassie, cette fille qui brûle.
Si Cassie se détourne et disparaît, c’est qu’elle-même se distancie de ce qu’elle a toujours été. D’un coup, sa vie semble tenir sur peu de choses, et la friabilité du réel est telle qu’elle se doit de trouver une vérité, quelle qu’elle soit. Claire Messud écrit avec une tendresse épatante sur cette amitié qui s’effrite, parvenant au détour de chaque page à représenter efficacement les aléas d’être une femme dans une Amérique qui n’est point exempte de dangers. La fille qui brûle est un petit roman d’une grande envergure, porté par une prose si juste qu’elle en est fascinante. Finalement, le confort et l’incendie ne sont pas si loin l’un de l’autre.