Jean-Christophe Réhel : La fatigue des fruits
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Jean-Christophe Réhel : La fatigue des fruits

Il est rare de trouver des poètes aussi jeunes que Jean-Christophe Réhel qui parviennent à se renouveler si aisément entre chaque recueil. Celui qui nous avait surpris par sa maîtrise surréaliste avec Les volcans sentent la coconut (Del Busso, 2016), finaliste au Prix des libraires du Québec, revient cette fois-ci avec La fatigue des fruits. Celui qui nous avait offert des vers ciselés dans son précédent recueil arrive ici avec un poème beaucoup plus ample, qui court sur une page, voire deux, sans jamais pour autant avoir l’air d’une logorrhée. La fatigue des fruits, c’est celle qui nous frappe tous, celle d’une vie sans éclat où la nuque de l’autre devient un monde, où les oiseaux sont prophètes et où la mort rôde comme un vieil ami.

Dès les premiers poèmes, on est happé. Certains vers frappent avec tant de force qu’ils forcent un temps d’arrêt. Comprenez-moi bien: ces vers ne se cachent pas dans le texte comme quelques perles à trouver en plein océan, non, ils sont là, dans la forêt d’un poème aux multiples cimes, aux différents belvédères, pour répondre au temps de la lecture: «nos mains chaudes essayent de fabriquer une gloire/on bâtit une pyramide on meurt avant que ça fasse un triangle». Réhel parvient à sublimer la maladie, à l’insérer dans la banalité des jours: «mon cœur ne bat qu’une seule fois/aux alentours de midi». Car la mort est omniprésente ici, portée par un monde vivant bien ample: «je laisse mes plantes mourir/pour avoir une longueur d’avance sur le temps».

Si encore une fois L’Oie de Cravan démontre tout son savoir-faire et son amour du livre-objet en proposant un ouvrage à la couverture gaufrée et aux papiers épais, la qualité du produit n’a d’égal que les poèmes qu’il contient. Il est, je crois, impossible de ne pas avoir le regard qui se brouille à la lecture de «les mains dans les yeux», une ode à la précarité du nous et à celle du monde. Réhel maîtrise ici la répétition des vers qui reviennent dans le poème comme des métronomes, qui marquent l’impermanence des choses, en plus de jouer sur la longueur des textes à quelques reprises, démontrant qu’il n’a rien perdu de sa concision poétique. Un recueil comme un cadeau.

La fatigue des fruits
Jean-Christophe Réhel
L’Oie de Cravan, 64 pages, 2018
ISBN : 9782924652169