Scott McClanahan : Crapalachia
Si pour Sartre, l’enfer c’était les autres, pour Scott McClanahan, l’enfer c’est la Virginie-Occidentale. Avec son premier roman, Crapalachia, il nous offre la «biographie d’un lieu», comme nous promet le sous-titre. Drôle, absurde, white trash sans pour autant manquer de tendresse, l’adolescence de McClanahan dans un bled perdu des États-Unis est un feu roulant d’anecdotes tout aussi improbables qu’hilarantes, bien qu’ici les rires et les pleurs semblent se côtoyer plus souvent qu’à leur tour. Si leur réalité est stagnante, l’écrivain la dynamise avec une galerie de personnages tout aussi truculente qu’attachante. Crapalachia est peut-être bien la biographie d’un lieu, mais elle est surtout l’autopsie grinçante d’un mode de vie impensable que certains appellent leur quotidien.
Les premiers chapitres défilent comme les pages d’un album photo que l’on feuillette. Rapidement, le portrait de famille prend place, les visages sont campés. Scott ira vivre avec sa grand-mère Ruby et son oncle Nathan. Si l’une est fascinée par les morts qui l’entourent, l’autre, prisonnier de son fauteuil roulant et de son silence, écoute les preachers américains pendant que son neveu siffle un six packs de bières à même sa sonde alimentaire. Bien sûr, le tout peut sembler grotesque et risible, mais on s’attache rapidement à ces êtres perdus que le cours des jours avalera bien avant la fin du roman. Un monde de déchéance, oui, mais non sans amour, car Scott McClanahan aime véritablement chacun des énergumènes qui peuplent ses pages.
Bien que le chat s’appelle Sida, que la grand-mère espère de tout cœur être atteinte du cancer du sein et que le coloc aux multiples TOC écoute sans cesse Dust in the Wind de Kansas, le burlesque ne monopolise jamais l’ensemble du projet. L’entreprise de McClanahan est multiple et beaucoup plus brillante qu’une simple caricature. L’écriture est ici sans filet, jamais l’écrivain ne prêche ni par pudeur ni par excès, le court roman se développe comme une lettre d’amour s’adressant à tous ceux qui habitent les marges bien trop grandes d’une société qui en oublie plusieurs derrière. Le pari était difficile, le projet risqué, mais c’est avec succès que l’écrivain américain propose un premier roman aux allures de John Fante sans pour autant baigner dans le pastiche.