Jérôme Ferrari : À son image
Depuis bientôt six ans, je me casse les dents chaque fois que je tente de faire découvrir l’écrivain corse Jérôme Ferrari, car mon principal problème, c’est que j’y échoue lamentablement. Soyez averti, lorsque je me confonds en dithyrambes pour cet auteur, le lecteur que j’essaie de créer ne trouve rien en ces pages qui sauraient approcher mon propre plaisir de lecture. Mais comme les écrivains qui nous accompagnent sur la durée sont aussi précieux que de vieux amis, je persiste et signe par loyauté et abnégation et tenterai une fois de plus de souligner l’immense talent dont fait preuve Ferrari de livre en livre. Croyez-moi sur parole, À son image, son plus récent roman, est simplement excellent.
Lauréat du Goncourt en 2012 pour Le sermon sur la chute de Rome, Jérôme Ferrari brosse dans son nouveau livre le portrait d’Antonia, une jeune photographe corse qui perd la vie sur la route dès les premières pages du roman. Chassé-croisé entre son existence et ses funérailles, À son image raconte autant la passion d’Antonia pour la photo que son désir de couvrir de grands conflits ainsi que son amour pour Pascal B., ami d’enfance et membre de la milice nationaliste corse. Au détour d’à peine 200 pages, Ferrari signe autant un cours exhaustif sur le photoreportage – conviant d’un chapitre à l’autre de grands photographes ayant couvert les multiples conflits qui ont mis le continent à feu et à sang – qu’un précis politique sur les démarches indépendantistes corses ayant troublé l’île à l’heure de cette vague d’autodétermination des peuples européens.
C’est lorsque le lecteur se retrouve au cœur des obsèques d’Antonia, célébrées par son oncle, qu’il peut remarquer l’ampleur de la langue de Ferrari: la phrase peut courir sur plusieurs pages, les époques peuvent se succéder d’une virgule à l’autre, alors que les dialogues parviennent à s’immiscer à même la description. Tout chez lui relève de la maestria, sans oublier une certaine notion d’atavisme corse qu’il semble déployer une nouvelle fois ici, comme il l’avait fait avec Le sermon sur la chute de Rome; cette idée d’une île comme une malédiction, un lieu qu’on se doit de fuir, mais qui, pourtant, nous ramène toujours à lui. Écoutez-moi quand je vous dis que Jérôme Ferrari est un écrivain incontournable.