Nicholas Giguère : Quelqu'un
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Nicholas Giguère : Quelqu’un

Un an après la parution de Queues, un premier récit intime qui avait brassé la cage dans le paysage littéraire québécois, Nicholas Giguère nous revient avec un titre – et une page couverture – d’apparence beaucoup plus soft: Quelqu’un.

Il existe plusieurs raisons de se retrouver au bar malgré soi. Parce qu’on a suivi les autres, ou parce que c’est une habitude. L’esprit décalé, on passe la soirée à contempler la faune qui s’excite et on se demande: «Mais qu’est-ce que je fous ici?» C’est à ce principal questionnement qu’on se confronte au bar l’Envol, à Saint-Georges, où Nicholas – comme toute la Beauce gaie – se rend systématiquement chaque semaine. Comme une roue rouillée qui tourne un peu croche, «un trou où j’ai commencé/ma vie publique de pédale/ou de pédale publique/je confonds toujours les deux». On aura notre réponse bien assez vite: entre deux shirley temples, le narrateur, qu’on devine au début de la vingtaine, espère l’amour lorsqu’il part dans ses rêveries. Mais c’est le cul qu’il envisage une fois revenu sur terre. Les passages évoquant la sexualité ont quelque chose de pornographique, nous ramenant rapidement à la perspective d’une fuite vers l’imaginaire.

En courts vers, Quelqu’un nous donne accès à un dialogue intérieur cru, sévère, dépréciatif. Certains passages plus bruts, qui vont parfois dans tous les sens, prennent leur place dans un récit composé de pensées quasi automatiques, auxquelles on s’attarde pour se donner une contenance dans un lieu anxiogène. Dans un monde où on se sent invisible. Si les idées suicidaires ne sont pas exactement au centre du texte, l’envie de se lancer dans la Chaudière n’est jamais loin.

est-ce que mon corps va être retrouvé
est-ce qu’on va vouloir me retrouver
c’est pas tout d’être porté disparu
il faut manquer à quelqu’un

Frappant moins fort que dans Queues, Giguère aborde ici un sous-thème important de la critique campée dans son premier livre: la pression qui accable lorsqu’on n’entre pas dans le moule, cette fois-ci à l’amorce d’une vie affective et sexuelle; quand l’identité se forge tant bien que mal. Le souvenir âpre d’une époque où on pensait chercher quelqu’un, dans l’espoir premier de ne plus être personne.

Quelqu’un
Nicholas Giguère
Septentrion – Collection Hamac, 68 pages, 2018
ISBN : 9782897910051