L'extraordinaire voyage de Matthieu Simard
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L’extraordinaire voyage de Matthieu Simard

Quatorze ans après son premier roman Échecs amoureux et autres niaiseries (Stanké, 2004) et un an après l’adaptation cinématographique de son livre Ça sent la coupe (Stanké, 2008), Matthieu Simard revient avec Les écrivements, fort probablement sa proposition littéraire la plus éclatée à ce jour. Entretien.

Si l’écrivain en avait surpris plus d’un l’année dernière avec la parution d’Ici, ailleurs (Alto, 2017) – un huis clos concis et dramatique disséquant le couple dans tous ses travers –, les lecteurs tomberont des nues avec ce nouveau roman où l’on suit une octogénaire sur les traces de son conjoint qui l’a quittée il y a plus de 40 ans. Ce roman, qui prend étonnamment racine dans une allée anonyme d’un magasin à grande surface, nous entraîne du Québec jusqu’en Ontario, en passant par l’Union soviétique. Le périple de Jeanne pour retrouver son Suzor laisse toute la place à Matthieu Simard pour construire son récit tel un casse-tête, abordant le thème de la mémoire et ses faiblesses

«C’est un projet complexe Les écrivements, et qui date de près de 10 ans. Le vrai début, le trigger, c’est au IKEA. Moi, je ne suis pas quelqu’un qui parle au monde, j’ai beaucoup de respect pour ceux qui en sont capables. Partir une vraie conversation avec un inconnu, c’est quelque chose que je suis incapable de faire, mais c’est parti d’une situation comme ça. Une vieille dame voulait sortir un meuble et c’était trop lourd pour elle, donc je l’ai aidée. Là, elle se met à me jaser, et pour une raison que j’ignore, j’ai décidé d’embarquer dans cette conversation-là et elle m’a raconté qu’elle venait de perdre son premier mari à qui elle n’avait pas parlé depuis longtemps. On pouvait sentir les remords de ne pas avoir reconnecté avec lui avant qu’il ne décède. J’ai eu envie de lui donner l’occasion de le faire, et c’est comme ça que le roman a germé.»

Si l’acte d’écrire a toujours été quelque chose de grisant pour lui, il ne faut pas oublier la recherche qui peut l’être tout autant. Particulièrement pour le dernier, Simard s’aventure dans quelques faits divers avec son livre, que ce soit dans un abri antinucléaire construit avec des autobus scolaires par un Américain du Kansas ou encore le mystère autour d’une expédition soviétique qui vire mal en plein col Dyatlov.

«Je crois que ce que j’aime le plus dans l’écriture d’un roman, c’est la recherche autour d’un sujet, devoir t’y plonger pleinement même si dans le roman, tu vas le traiter qu’en surface. Pour pouvoir bien l’écrire, il faut plonger dans diverses réflexions. Dans ce cas-ci, j’ai beaucoup réfléchi à la mémoire et aux souvenirs, pourquoi certains restent et d’autres non, comment fonctionne leur durée de vie, etc. Ce genre de recherches, c’est quelque chose que je ne m’étais pas vraiment permis de faire avec mes derniers livres. […] Le geste de l’écriture que j’ai fait avec Ici, ailleurs m’a ramené un peu à ça, et ç’a créé le bon moment pour l’écriture de ce livre que je traîne depuis près de 10 ans. J’avais besoin d’un éditeur qui allait me challenger, surtout avec Les écrivements. Le premier jet était pas bon et je le savais, c’était plutôt un scène à scène pour que je puisse voir le casse-tête sur papier et commencer à travailler à partir de là.»

Écrire pour soi

Fort d’un succès considérable, Matthieu Simard se retrouvait dans un confort dont il craignait les pièges, ce qui explique en partie son passage aux éditions Alto: une façon de renouveler ses vœux avec la littérature. Le succès vient inéluctablement avec des lecteurs et ceux-ci arrivent avec des attentes. Alors, comment ne pas y penser au moment d’entamer un nouveau chantier?

«J’ai beaucoup de difficulté à ne pas penser à mes lecteurs lorsque j’écris et c’est un problème, parce que ça me freine beaucoup. Mais là, comme le procédé d’écriture s’est étalé sur plusieurs années et que c’est assez différent dans sa construction, j’ai été capable de le faire pour moi, ce qui est de plus en plus dur dans ma vie d’auteur. […] J’ai été confortable dans mon univers littéraire, avec le même ton, la même voix, jusqu’à La tendresse attendra, et c’était plaisant. Par contre, je ne peux pas réécrire le même livre tout le temps et être heureux là-dedans. J’ai besoin d’être en mouvement. J’ai toujours l’impression que mon prochain roman sera mon meilleur et c’est ça le but.»

Lorsque son fils de trois ans a pointé son cellulaire en demandant à son père que voulaient dire ses «écrivements», l’auteur ne pouvait se douter qu’en tombant en amour avec ce néologisme, ce dernier allait coiffer son prochain roman. Car si son héroïne Jeanne passe une bonne partie de sa vie à écrire pour oublier, Matthieu Simard semble savoir pertinemment, quant à lui, qu’il écrit par nécessité, et ce, pour notre grand plaisir.

Les écrivements
Les écrivements
Matthieu Simard
Alto, 240 pages, 2018
ISBN : 9782896943968