Nicole Krauss : Forêt obscure
En 2000, le band britannique Radiohead faisait paraître Kid A, peut-être son meilleur album. Dix-huit ans plus tard, à la lecture du plus récent roman de l’écrivaine américaine Nicole Krauss, je ne peux m’empêcher d’avoir en tête How to Disappear Completely, tellement cette chanson semble jeter les fondements de Forêt obscure, un livre tissé à même les faux-semblants et les culs-de-sac. Jules Epstein, richissime juif new-yorkais, disparaît en Israël, alors que Nicole, une écrivaine américaine, revient au Hilton de Tel-Aviv, lieu marquant de ses souvenirs d’enfance. Si ces deux histoires s’alternent sans jamais se croiser – ou si peu –, elles créeront de page en page diverses chambres d’échos où les questionnements de Krauss viendront se loger au détour d’une phrase avant de se réverbérer au loin, à la façon des cercles concentriques qui se créent autour d’un caillou jeté au centre d’un étang.
D’une rencontre fortuite à New York avec un rabbin jusqu’à la plantation d’une forêt complète au cœur d’un désert, tout en passant par un périple en haute Galilée dans la cité de Safed, il est difficile de suivre le périple d’Epstein sans froncer les sourcils. On pourrait en dire tout autant du personnage de Nicole, alter ego de l’auteure, qui se fait mandater par un professeur de littérature à la solde du Mossad de poursuivre une œuvre inachevée de Kafka, lui qui aurait feint sa mort en Europe pour se la couler douce de longues années en terre sainte.
Enquête littéraire contenant différents leurres, Forêt obscure est un livre qui ne respecte aucune de ses promesses et on se demande bien honnêtement si on doit le détester ou l’aduler pour cette raison. Si le lecteur se perd en entrant dans cette forêt obscure créée de toute pièce par l’auteure, il n’aura d’autre choix que de se rendre compte que Krauss s’y perd aussi. On se demande même s’il ne s’agit pas là de la raison première pour laquelle ce livre a été écrit, créé à même cette idée de mettre en place un dispositif pour camoufler une fuite en avant de l’écrivaine, un lieu où les réflexions tout aussi spirituelles que littéraires ne trouveraient pas nécessairement de réponse, mais plutôt un endroit où se cacher. À vos risques et périls.