Patrice Lessard : La danse de l’ours
Avec Excellence poulet publié en 2015, on dénotait chez Patrice Lessard un intérêt pour les environnements atypiques où installer ses scènes de crime. Il repousse les limites avec La danse de l’ours, en choisissant comme repère spatio-temporel le légendaire Festival de la galette [de sarrasin] – qui bat probablement son plein au moment où vous lisez ces lignes.
Recherché par la police, Patrick Tardif – ce n’est pas son vrai nom – s’est confortablement installé à Louiseville, lové entre le calme plat et le vrombissement des usines. C’est un beau soir de mai que Dave et Blanche, d’ex-camarades avec qui il était en froid, le convoquent au lac afin de lui proposer «une job», qu’on devine un peu moins nette que journalier chez Meubles Canadel ou commis chez Marquis Imprimeur. «Il voulait me provoquer, l’hostie. Pour moi, dévaliser un fourgon, c’était le meilleur moyen qu’on me retrace.» C’est plutôt au Flamingo, bar crapuleux où Blanche travaille, que le trio décide finalement de s’attaquer; de fil en aiguille, il devient évident que le principal objectif n’est pas simplement de rafler les 15 000 dollars que pourrait contenir la place en pleines festivités.
Alors que des rabat-joie se plaisent à croire que le polar est un sous-genre, il y a dans La danse de l’ours une qualité littéraire très fine. L’écrivain manie habilement les dialogues et les phrases surprenantes, tant par leur forme – longues, audacieusement mais toujours délicieusement ponctuées – que par leur essence. «Hostie de Magoua!»: on le lira quelques fois avant d’aller voir ce qu’en dit Wikipédia. Car tout est authentique; rien n’est plaqué ou didactique dans la façon d’aborder ce peuple autochtone, effacé entre Trois-Rivières et Maskinongé. Des recherches personnelles qui donneront encore davantage cette sensation d’imposture et d’étrangeté dans une fiction qui semble réelle – si bien qu’on omettra au passage qu’un crime prémédité au Festival de la galette peut avoir un petit quelque chose de burlesque; quiconque ayant déjà mis les pieds aux portes de la Mauricie n’aura aucun mal à voir défiler les scènes du roman en tournant chaque page.
Plus qu’un «page turner» captivant, La danse de l’ours est une incursion dans un microcosme maskinongeois. Une expérience sociologique où se côtoient barbarie et subtilités.