Daniel Canty : La société des grands fonds
Livres

Daniel Canty : La société des grands fonds

Il arrive qu’un lecteur erre devant sa bibliothèque. Il arrive que ce lecteur, parcourant du regard le dos des livres cordés sur la tablette du centre, se remémore différents souvenirs de lecture. Un souvenir de lecture est bien souvent plus que l’histoire qu’il raconte. Ce sont les lieux imaginaires de la fiction, mais aussi ceux très réels de la lecture. C’est un banc de parc, une ville étrangère, une berge tranquille. Il arrive que ce lecteur en extirpe un livre, bousculant l’inébranlable ordre des choses, l’inébranlable quiétude d’une bibliothèque. Il arrive que ce livre soit gondolé. Peut-être par une pluie soudaine, alors que le lecteur se trouvait dans un parc. Peut-être par d’interminables soirées de lecture dans une baignoire où coulait en permanence un filet d’eau chaude. Il arrive que ce lecteur, par une offrande littéraire, vous convie d’intégrer La société des grands fonds.

Après Wigrum (La Peuplade, 2011) et Les États-Unis du vent (La Peuplade, 2014), Daniel Canty poursuit une œuvre hétéroclite, éclectique. Le parcours littéraire de cet artiste pluridisciplinaire marie contrainte et liberté, érudition et ludisme. Avec ce plus récent livre, l’auteur tente de nous faire accroire qu’il nous offre un livre d’eau, alors qu’à sa lecture, on se rend compte bien assez vite qu’il nous offre un livre de lecteur. Regroupant des textes parus dans Bathyscaphe, journal inactuel paru irrégulièrement à 10 reprises entre 2008 et 2013, La société des grands fonds s’était d’abord extrait de cette première vie pour loger sur la toile, avant de prendre la forme livresque sous laquelle il se présente maintenant à nous. D’une relecture de Nine Stories de J. D. Salinger ou d’une rencontre fortuite avec Alistair MacLeod à Vancouver, Canty en fait des morceaux de bravoure fluides dans leur disparité.

Livre d’eau, peut-être. Livre de lecteur, assurément. Mais livre d’errances aussi, surtout. Entre Montréal et New York en passant par Halifax et Huntsville, Canty arpente des territoires et en invente différentes topographies. À celui qui «ignore si le monde, à l’instar d’un livre, est véritablement constitué de signes», je peux affirmer qu’à la tombée de la nuit, lorsque j’ai fait mon entrée dans La société des grands fonds, le vent s’est levé, la pluie s’est invitée à ma fenêtre. Alors un livre d’eau? Dans le fond, oui, pourquoi pas.

La société des grands fonds
Daniel Canty
La Peuplade, 208 pages, 2018
ISBN : 9782924898130