Laurent Gaudé : Salina : les trois exils
Certains écrivains nous accompagnent longtemps. Je me souviens encore très bien, alors jeune lecteur et nouveau libraire, découvrir Laurent Gaudé avec Le soleil des Scorta (prix Goncourt 2004), un roman que je ne cesse de conseiller. C’est que Gaudé a le temps pour raconter des histoires, il a la main pour le récit épique, incantatoire, étant capable de retenue et de grandiloquence au tournant d’une même phrase. Depuis, pour moi, chaque nouvelle parution de cet auteur est une sorte de rendez-vous, une assurance d’émerveillement. Avec Salina: les trois exils, Gaudé reprend une de ses pièces de théâtre publiée il y a plus de 15 ans pour y insuffler ce souffle romanesque qu’il maîtrise si bien. Halte littéraire en hommage à la mémoire et à ces pays de sable où les pierres sont les témoins d’histoires qui se doivent d’être racontées.
Un cri strident déchire le silence des montagnes. Un chevalier inconnu entre au village avec un nouveau-né, collé sur lui. Ainsi, en l’espace d’un instant, en déposant au sol et au cœur du monde cet enfant aux pleurs sauvages avant de faire demi-tour et partir vers l’horizon, cet homme donnera naissance au mythe. Ce n’est que des années plus tard que cette histoire sera pleinement racontée. C’est au moment où Malaka, «fils élevé dans le désert par une mère qui parlait aux pierres», désire la porter à son dernier repos qu’il décide de relater l’existence de celle qui lui donna la vie. Car c’est ainsi que fonctionne l’île cimetière, trouvée par-delà la montagne que l’on croyait infranchissable: le sanctuaire écoute le récit de tous les morts venant à lui, et ce n’est qu’à la fin qu’il décide s’il ouvre ses portes ou non au défunt.
Si le procédé narratif rappelle un peu La mort du roi Tsongor (prix Goncourt des lycéens, 2002), le livre s’en détache pour proposer une histoire tout autre, celle de cette femme au cœur d’une tribu qui la reniera; d’une vie entière, mariée contre son gré, d’accouchement dans la haine et la colère, et de progéniture assoiffée de vengeance et d’honneur. Salina est un roman à la fois court et précieux, une autre réussite signée Laurent Gaudé.