L’empreinte
Certains livres n’ont besoin que de quelques pages pour nous convaincre qu’on se lance dans quelque chose de remarquable, d’unique. À la lecture de L’empreinte, premier livre brillamment construit de l’Américaine Alexandria Marzano-Lesnevich, il est difficile de ne pas être ébaubi face à la virtuosité littéraire qu’il recèle, tellement le projet d’écriture est mature et maîtrisé. S’il est grisant de découvrir une écrivaine avec tant de talent, il faudra toutefois descendre avec elle au cœur de l’abjection humaine et y fréquenter ses bassesses. Dans ce livre à mi-chemin entre l’enquête journalistique et le journal intime, Marzano-Lesnevich tient son lecteur en haleine dans une quête où la vérité n’a pas toujours la rectitude du droit et où la véracité des faits se retrouve à la solde de toutes narrations.
C’est en 1992 qu’un jeune garçon de 6 ans, Jeremy Guillory, disparaît en Louisiane. Trois jours plus tard, on trouvera son cadavre et deux taches de sperme sur son chandail. Arrêté quelques jours après, Ricky Langley sera d’abord condamné à mort avant d’avoir un deuxième et un troisième procès qui le condamneront à la perpétuité. Fille de parents avocats, Alexandria Marzano-Lesnevich poursuit des études en droit à Harvard où elle devient stagiaire pour le cabinet de l’avocat Clive Stafford Smith, celui-là même qui défend Langley. Persuadée qu’aucun ne devrait être mis à mort pour ses crimes, l’autrice verra ses valeurs ébranlées par le cas, remuant au passage un passé familial trouble où les cicatrices vives auront été enfouies plutôt que pansées.
Dans la lignée du Chant du bourreau de Norman Mailer, De sang-froid de Truman Capote et d’Un long silence de Mikal Gilmore, L’empreinte parvient à sublimer les codes de la littérature true crime pour en faire un livre total. L’habile courtepointe qu’elle tisse entre le récit de Langley et le sien n’est jamais plaquée, toujours elle réussit à lier l’un et l’autre dans une cohérence qui n’a d’égale que la précision de l’écriture. S’il faut qu’à certains moments le lecteur mette de côté ses a priori, l’expérience en vaut amplement la peine, proposant une lecture aussi difficile que nécessaire des maux qui appartiennent à nos sociétés. L’empreinte est surtout un livre rare, de ceux qui marquent par l’entière confiance qu’ont leurs auteurs dans l’acte d’écrire, dans la résilience littéraire.
L’empreinte, Alexandria Marzano-Lesnevich, Sonatine, 496 pages