L’annexe
L’intelligence littéraire de Catherine Mavrikakis n’est plus à prouver. Depuis Le ciel de Bay City (2008), pour lequel elle remporta le Prix littéraire des collégiens et le Prix des libraires du Québec, la romancière et essayiste construit une œuvre d’une rare cohérence dans l’univers livresque québécois. Chacun de ses livres est une surprise, et si son plus récent, Oscar de Profundis, nous plongeait dans un Montréal futuriste et pestiféré vu par la lorgnette d’une rockstar locale, sa nouveauté se présente à nous comme un thriller sous fond d’espionnage et de trahison. Mais comme à son habitude, les faux-semblants sont nombreux. Elle serait d’ailleurs la première à vous dire de ne jamais faire confiance à une écrivaine, encore moins à ce qu’elle écrit. Sous des allures de huis clos suffocant, L’annexe est propulsé par un souffle littéraire fascinant.
Espionne à la solde de l’Organisation, elle a récemment été repérée et l’on craint pour sa vie. L’Annexe, c’est le nom qu’a donné Anna à la maison de protection dans laquelle elle est confinée, baptisée en l’honneur du petit cagibi dans lequel Anne Frank et sa famille se sont cachées pendant des mois. Anna voue une fascination à ce lieu d’Amsterdam qu’elle visitait annuellement. C’est d’ailleurs à sa sortie qu’elle a remarqué qu’on la suivait, avant de sauter dans un avion à la demande de ses patrons. Le tenancier de la place, un énigmatique Célestino, est un personnage grandiloquent et verbomoteur qui, dans des joutes verbales succulentes, ne cesse de ramener tout à la littérature, jeu auquel se prend Anna à ses risques et périls. La faune est complétée par un couple de vieux aristocrates russes, un jeune fendant, un quinquagénaire dépressif, et d’autres employés à cacher dont on sait tout et rien, car, bien certainement, tout est fiction.
Les références littéraires débordent de ce livre jouissif pour quiconque aime suivre l’esprit vif de la romancière. Ce lieu pourrait tantôt être le sanatorium Berghof dans La montagne magique de Thomas Mann, tantôt cette maison coupée du monde dans Dix petits nègres d’Agatha Christie. Tout au long du livre, Anna baptise chacun de ses acolytes sous des couverts littéraires – une nouvelle de Tourgueniev ou encore un classique de Camus. Brillant et truculent, L’annexe se lit comme un roman ou comme une prescription littéraire.