Zaroff
En 1924, Richard Connell écrivait une nouvelle qui fera date: The Most Dangerous Game. On y découvrait le comte Zaroff, un Russe installé dans une forteresse portugaise au large de l’Amérique du Sud. Ayant fui la révolution de 1917, ce chasseur sanguinaire passe son temps de la plus barbare des façons. Avec l’aide de ses sbires, il a déplacé les balises en pleine mer pour favoriser les naufrages. Ceux qui, par chance, regagnent le large, se feront traquer dans une chasse à l’homme sur cette île sauvage par Zaroff lui-même, gardant alors les têtes de ses victimes comme trophée. Adapté au cinéma en 1932, il n’en fallait pas plus pour que cette fiction passe à la postérité.
Près d’un siècle plus tard, le scénariste belge Sylvain Runberg et l’illustrateur québécois François Miville-Deschênes proposent au Lombard dans la collection «Signé» l’album Zaroff, reprenant ainsi le personnage créer par Connell et explorant la suite de ses aventures. Lorsque Fiona Flanagan arrive sur l’île, les rôles changent: orpheline depuis que Zaroff a assassiné son père, Fiona se retrouve à la tête de la mafia irlandaise de Boston et débarque sur ces terres, propulsée par un désir insatiable de vengeance. Petite surprise pour le comte russe, cette dernière a aussi pris en otage sa sœur et ses trois nièces et neveux qui se retrouvent quelque part sur l’île. Le tout prend alors un tournant bien personnel.
Soyons clairs: ici, aucune violence n’est suggérée. Portée par le dessin maîtrisé de François Miville-Deschênes, les morts sont multiples et les sévices innombrables. En même temps, rien ne semble particulièrement gratuit dans la proposition. Le comte Zaroff est un aristocrate tortionnaire qui ne cesse de citer Marc Aurèle avant d’achever ses proies. Tout se tient dans le pacte de lecture, car dès le départ, le lecteur sait pertinemment qu’aucune morale ne réside en ces pages. La jungle sud-américaine peuplée de molosses, de jaguars et d’alligators sous le trait de Miville-Deschênes est l’une des principales raisons d’ouvrir cet album: c’est que la nature sublime se marie à merveille avec la sauvagerie humaine. La violence y est parfaitement codifiée, les cases – majoritairement faites de teints de verts – tournent au rouge dès que la cruauté semble poindre. Bonheur de lecture pour lecteurs avertis!