Chroniques d’une station-service
C’est quand la dernière fois que vous avez découvert un auteur? Que vous vous êtes, par hasard ou par chance, surpris à être en train de parcourir les premières pages d’un roman écrit par un illustre inconnu? Ce moment où, sans que vous puissiez ne rien y faire, un sourire, tendre, se dessine sur votre visage. Quelque chose de rare, une rencontre improbable, folle, se produit soudainement entre une œuvre et un lecteur. Je crois que c’est particulièrement pour cette raison qu’on apprécie la liberté inébranlable du lecteur. Avec son premier roman, Chroniques d’une station-service, Alexandre Labruffe propose exactement ce genre de rencontre. Au moment où l’offre littéraire nous dépasse, les chroniques de pompiste de Labruffe tirent leur épingle du jeu par la brillance de son écrivain et son sens de la formule, son cynisme contagieux et sa folie passagère.
Il y a, en ce livre, l’appel d’air nécessaire à toute rentrée littéraire, une surprise qui tient en 120 pages durant lesquelles on ne cesse de se demander si le bouquin est tellement brillant qu’il en est con, ou s’il est tellement con qu’il en est brillant. Quelques jours au sortir de la lecture, je me vois dans l’impossibilité de valider l’une de ces deux hypothèses. Ce pompiste, féru de Baudrillard, nous transmet son quotidien en microfictions qui tiennent entre une phrase et deux pages. De son poste, il sert café, alcool et essence à tous ceux qui s’aventurent en périphérie de la ville parisienne. Avec Mad Max sur les écrans de la station, l’antihéros de Labruffe voit son quotidien comme le meilleur poste d’observation des derniers soubresauts d’une humanité qui en est sur ses derniers miles. Last exit before the end of the world.
Chronique d’un non-lieu, ce premier roman de Labruffe démontre un plaisir rare dans l’écriture. Les phrases ne sont jamais alourdies par une volonté trop pressante de l’écrivain de signer son premier roman. Assurément, on retrouve ici un auteur qui sait s’amuser, se jouer des codes littéraires pour les sublimer, sourire en coin. Jamais le projet ne s’enfarge dans des volontés obscures. Labruffe préfère plutôt demeurer fidèle à son lecteur et à son personnage, proposant quelques fulgurances narratives inhérentes au dernier plein d’essence, ne nous faisant jamais oublier que la panne sèche nous guette.