Avec son roman La Dictatrice, Diane Ducret propose l'ultime parité
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Avec son roman La Dictatrice, Diane Ducret propose l’ultime parité

L’écrivaine franco-belge revient avec un roman d’anticipation glaçant, mettant en scène l’ascension d’une femme au pouvoir sur fond d’éclatement de l’Europe. Un livre qui questionne au passage le féminisme.

Toute ressemblance avec une personne ayant existé est purement fortuite… ou pas. Diane Ducret (La Chair interdite) fait ici l’anatomie d’une prise de pouvoir par une femme, qui n’est pas sans rappeler un certain Adolf Hitler… Si l’ancien chancelier allemand n’est jamais nommé, il est là en filigrane tout au long du livre : la dictatrice de Ducret partage la même date de naissance que lui à cent ans d’intervalle, elle mange les mêmes menus, porte les même initiales (A.H, pour Aurore Henri), a le même charisme auprès des foules, et sa prise de pouvoir suit les mêmes étapes aux mêmes dates, à un siècle d’écart. 

« Je ne le nomme pas, justement parce que dans le livre tout se passe comme si il n’y avait jamais eu la Seconde Guerre mondiale. Ça symbolise qu’aujourd’hui cette voix n’est plus audible. On prononce les mêmes mots, mais on ne repère plus qu’ils ont déjà été dits et où ils nous ont menés, explique Diane Ducret. Les premiers retours de lecteurs qui commençaient le livre, et c’est terrible, me disaient en parlant d’Aurore Henri : “Ah! Enfin, quelqu’un qui a compris la situation! Enfin de vrais propos politiques”. Sauf que ses discours, je les ai repris de Hitler et j’ai juste changé quelques mots… De lui, on ne garde que le souvenir de la guerre et donc du système à son paroxysme. Et on se dit “C’est fou, comment les Allemands ont pu laisser faire ça?” »

C’est que selon l’auteure, la situation actuelle dans le monde n’est pas sans rappeler le contexte de l’entre-deux-guerres. Dans son roman, elle met en scène une Union européenne en pleine implosion suite aux inégalités qui se creusent, à la perte de confiance dans les politiciens, à l’échec de la société néolibérale et à la montée des populismes sur le continent. D’autres pays veulent suivre le mouvement du Brexit et des manifestations ont lieu dans les capitales chaque fin de semaine. Ça sonne familier? C’est en tout cas avec surprise que l’écrivaine a assisté il y a un an aux premières émeutes des Gilets jaunes en France, tout droit tirées du roman qu’elle venait de terminer. « Mon livre commence en 2023, mais au final j’ai été rattrapée par l’actu, note l’auteure. Il y a des scènes du roman qui semblent complètement folles mais qui sont aujourd’hui très réelles. Pour moi, ce livre, c’est un peu un 1984 par certains aspects… »

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Hitler au temps des réseaux sociaux

Le livre mêle une écriture romanesque à des recherches historiques, à l’image de son précédent ouvrage, Les Indésirables, où l’on suivait deux femmes dans un camp d’internement pendant la Seconde Guerre mondiale. Avec la guerre et la dictature, ce dernier roman reprend ainsi un thème récurrent dans l’œuvre de Diane Ducret, qui a consacré deux essais (Femmes de dictateurs 1 et 2) aux épouses et maîtresses des dictateurs du siècle dernier. Un intérêt cultivé notamment pendant ses années passées en tant que journaliste pour des émissions d’histoire, mais aussi lors son enfance auprès de son grand-père, un ancien résistant qui n’est « jamais vraiment sorti de la Seconde Guerre mondiale ». « J’ai toujours grandi avec cette impression que ça pouvait recommencer, ou que le monde que tu aimes peut s’écrouler du jour au lendemain à cause d’une seule personne, confie l’écrivaine. Les extrêmes m’interrogent et m’intéressent, car l’humanité se révèle toujours dans des situations extrêmes. »

J’ai eu besoin de dire ce que je voyais venir et que certains ne semblaient voir. Mais je pensais qu’on avait encore dix ans devant nous ; en fait non. J’ai l’impression que l’Europe est en train de mourir en ce moment.

Est-ce qu’on ne retient jamais les leçons du passé? L’histoire est-elle vouée à se répéter? C’est un peu la leçon de ce roman, qui se veut comme un signal d’alarme et que Ducret a écrit en réaction à « une forte envie de crier, de créer une prise de conscience » : « J’ai mis ensemble tous les éléments d’un puzzle que je voyais se dessiner autour de moi. Marine Le Pen et sa nièce font une grande montée en France, l’extrême-droite est très forte en Allemagne, en Hongrie, en Pologne… J’ai eu besoin de dire ce que je voyais venir et que certains ne semblaient voir. Mais je pensais qu’on avait encore dix ans devant nous ; en fait non. J’ai l’impression que l’Europe est en train de mourir en ce moment. »

Au fil de ce long roman (une bonne brique de 500 pages), on suit en détail l’ascension de la dictatrice et son érection en icône des années 2030. Certains articles parus à la sortie du livre ont d’ailleurs dressé des parallèles entre Aurore Henri et des figures actuelles, dont Greta Thunberg. Ducret voit une certaine dangerosité à la fabrique d’icônes, qu’il s’agisse de la jeune militante pour l’environnement ou de sa dictatrice : d’une part parce qu’on peut mettre en avant des gens sans connaître leurs intentions ou leurs idéaux – « imagine Hitler avec les réseaux sociaux! On n’aurait même pas attendu 1933 pour qu’il arrive au pouvoir, et il aurait été invincible… » -, d’autre part parce qu’il est très facile de décrédibiliser des personnes dont les idées sont importantes en en faisant des icônes qui deviennent des caricatures d’elles-mêmes, empêchant ainsi le public d’aller au bout de ce qu’elles disent. 

« La femme est aussi un loup pour la femme »

La dictature n’a existé qu’au masculin ; à la rédaction de cet article, le correcteur orthographique souligne d’ailleurs en rouge le mot dictatrice. Mais s’il marche dans les pas de Hitler, ce dictateur fictif de 2033 prend ici un visage féminin. Car le vrai sujet du livre n’est pas politique : selon l’auteure, il s’agit surtout d’un roman sur une femme au parcours incroyable. « Il n’y a jamais eu de femme dictateur ni dans l’histoire ni dans la littérature, et je trouvais intéressant d’imaginer la première, ajoute Diane Ducret. Justement parce qu’on ne s’attend pas à de la violence de la part d’une femme ; on se dit que ça sera forcément mieux. Dans sa bouche, les mots de Hitler ne semblent pas si violents après tout… » Faire accéder une femme au titre de dictatrice, la parité ultime? « Oui, je trouve. C’est audacieux, mais c’est mon point de vue. »

J’avais vraiment envie de questionner le féminisme. Les femmes, c’est la paix… Vraiment? Quand tu regardes les programmes politiques de Marine Le Pen ou de Sarah Palin, tu te dis que la femme est aussi un loup pour la femme

Un point de vue qui remet en question l’idée commune selon laquelle la violence serait surtout masculine. « Nous avions toujours pensé que le monde serait en paix lorsque les femmes le gouverneraient. Nous avions tort. » annonce d’emblée la quatrième de couverture du roman. « J’avais vraiment envie de questionner le féminisme. Les femmes, c’est la paix… Vraiment? Quand tu regardes les programmes politiques de Marine Le Pen ou de Sarah Palin, tu te dis que la femme est aussi un loup pour la femme, argumente Diane Ducret. Cette idée dérange parce “la femme est l’égale de l’homme, mais un peu plus quand même”. Elle est censée être meilleure, plus douce, parce qu’on la ramène à sa réalité biologique de mère. Ça, c’est l’argument des traditionnalistes, et de Hitler lui-même – qui d’ailleurs se disait féministe. Au final, elle est où la liberté de la femme? C’est de devoir assumer sa fonction de mère, d’être douce parce qu’elle est une femme, ou justement de pouvoir être aussi une dictatrice? »

Pendant sa promo en France (le livre est sorti fin janvier outre-Atlantique), l’auteure remarque que cette idée prend du temps à s’installer chez les lectrices et journalistes femmes. « J’ai l’impression que ce livre fait un peu peur aux femmes… » En Belgique, c’est l’inverse ; il fascine. Ducret raconte ses échanges avec les lectrices, qui y voient un miroir les questionnant sur leurs attentes en tant que femme et sur leur relation au pouvoir. Le personnage d’Aurore Henri – dont la description semble être un autoportrait de Ducret, avec ses longs cheveux châtains et ses yeux acier – dérange, inquiète, et les lectrices ne veulent pas s’y identifier ; mais elles ne peuvent pas s’empêcher de la suivre. 

« En France, on dirait que les femmes ne savent pas trop quoi faire avec cette idée de femme dictatrice. J’ai la sensation que chez nous on s’est construit dans une certaine idée du féminisme qui doit être extrêmement positif et bienveillant, et qui tolère peut-être mal la remise en question et la contradiction que nous offre parfois le réel, analyse Diane Ducret. J’ai hâte de voir les réactions dans d’autres pays… » Au Québec, avec son féminisme bien à lui, la dictatrice arrivera en librairie le 5 mars. Alors, une femme peut-elle diriger le monde (aussi mal qu’un homme)?