Grégory Lemay : C’était moins drôle à Valcartier
Fraîchement diplômés de la polyvalente, Benoit et Grégory s’enrôlent dans l’armée pour mieux se payer la gueule des militaires de l’intérieur. Alors que le premier se fera rapidement aspirer par la spirale des redressements assis, des bottines bien cirées et de la discipline harassante, le deuxième, narrateur de ce cinquième roman de Grégory Lemay (à qui l’on doit le parfois sexy et souvent troublant Les modèles de l’amour), préférera cultiver sa vie intérieure en pestant contre cette institution et ses caporals de bande dessinée qui, comme dans les films, ne peuvent concevoir la formation des recrues autrement qu’en une longue et méthodique humiliation.
Plus qu’un roman sur l’armée, C’était moins drôle à Valcartier se désole de l’éternelle capacité de persuasion des systèmes en place, qui finissent toujours par intégrer dans leur giron un nombre étonnant d’éléments récalcitrants, tout en rendant hommage à l’imprenable sanctuaire qu’est l’imaginaire, niche de liberté dans laquelle le narrateur s’enfonce pour mieux se lover en pensée contre le corps de sa belle Julie-Nathalie. À l’instar des deux personnages principaux des Modèles de l’amour, qui blindaient le noyau brûlant de leur intimité en en sacrifiant une partie, Grégory cultive sa capacité d’insubordination en concédant pour un été son corps à l’armée. Prenons donc pour du cash, parce qu’on aime y croire, la bonne nouvelle dans laquelle culmine cette confession sans fard d’un rebelle qui se cherchait une cause: Valcartier forme aussi parfois des libres-penseurs. Éd. Héliotrope, 2013, 160 p.