Marie Clark : Le lieu précis de ma colère
Marie Clark a créé la surprise en 2008, lors de la parution de son roman Mes aventures d’apprenti chevalier presque entièrement raté, dans l’audacieuse collection Texture des éditions HMH. Nous y avions découvert Benjamin, un enfant de huit ans atteint d’hyperactivité et qui affrontait son quotidien difficile – incompréhension des parents, marginalisation à l’école – en se glissant dans la peau d’un chevalier dans un monde imaginaire. Le roman, porte-voix de sa détresse, était à son image : aucun point ni majuscule du début à la fin du livre, comme une longue diarrhée verbale de cet enfant aux prises avec un mal incontrôlable et une société normalisante incapable de l’intégrer. Saisissant.
En 2011, Marie Clark a réitéré avec le roman Mémoires d’Outre-Web, toujours chez HMH. Nous y retrouvions un Benjamin adolescent. Comme bien des jeunes de son âge, il vouait une passion dévorante aux jeux vidéo. À ceci près que dans son cas, il s’en servait une fois encore pour apaiser sa détresse et oublier sa vie réelle, pleine de difficultés, en se transposant en héros dans son existence virtuelle. Une nouvelle quête identitaire entre vérité et fiction commençait dès lors. Remarquable dans sa structure comme dans son style, elle nous faisait plonger dans un univers techno-onirique surprenant et inspirant.
Alors, voilà. Marie Clark n’a pas résisté à l’envie de nous montrer un Benjamin devenu adulte. C’est ce qu’elle nous propose avec le troisième (et dernier?) volet de son histoire publié chez un autre éditeur, XYZ. Benjamin a maintenant 30 ans. Sans travail, sans vie sociale réelle, il est l’archétype de l’homme sans désir et sans avenir. Mais par un hasard heureux, il croise les pas du petit René-Xavier, dans lequel il se reconnaît immédiatement au même âge. La même hyperactivité, la même rage, la même solitude. Spontanément, Benjamin offre à Éliane, la maman incapable de maîtriser la situation, de lui donner une heure de répit. Puis une heure par jour, puis des journées et mois entiers. Benjamin et son protégé, rebaptisé RX, se créent rapidement un monde à eux, comme des extraterrestres qui voient la Terre et ses habitants comme une planète à observer et à apprivoiser. À eux, se greffent au fil des jours d’autres jeunes marginalisés, sans repères, abandonnés de leur famille ou du système. Autistes, enfants violentés, inadaptés sociaux, trisomiques, petits malfrats. Tous se réunissent autour du vaisseau de brics à bracs que Benjamin et RX ont construit, et forment bientôt une grande famille dont la maison, un nouvel ancrage, deviendra tout à fait réelle.
Encore une fois, Marie Clark évoque le sujet des jeunes marginalisés en raison d’une maladie ou des aléas de la vie avec beaucoup d’humanité. Seul regret : le fait que Benjamin ait grandi nous place dans la position de l’adulte qui sait ce que vivent ces jeunes avec un œil réaliste, voire trop empathique. Nous ne nous trouvons donc plus dans la tête d’un de ces jeunes, et l’écriture est du même coup moins audacieuse, elle perd cette magie que nous avions tant appréciée dans les deux premiers volets. Ce roman demeure toutefois une bonne référence pour comprendre ces jeunes à la recherche, finalement, de la même chose que tout le monde : de l’amour, de l’écoute et des rêves. C’est ici leur vision, et non celle d’un spécialiste du système que Marie Clark partage avec beaucoup d’éloquence. Quant à la fin, superbe, de ce roman qui montre un Benjamin enfin apaisé après tant d’années de combats réels et intérieurs, elle nous emplit d’une douce chaleur que l’on garde longtemps après sa lecture.
Le lieu précis de ma colère
Marie Clark
Éditions XYZ
184 pages
2014