Patrick Isabelle : Eux
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Patrick Isabelle : Eux

Nous nous sommes tous, au cours des dernières années, indigné lorsque nous avons appris que des jeunes victimes d’intimidation se suicidaient ou faisaient à leur tour preuve d’une violence extrême pouvant aller jusqu’à des tueries. Nous nous sommes tous demandé ce qui avait pu les pousser autant à bout, pourquoi leur détresse n’avait pas été détectée auparavant. Pourquoi, aussi, l’intimidation est un fléau si difficile à enrayer.

Patrick Isabelle a fait de ces questionnements un roman. Mais pas de n’importe quelle manière. Il ne s’est pas lancé dans une approche sensationnaliste comme l’aurait fait un média ou un certain nombre de personnes bien pensantes. Il a plutôt choisi de se glisser dans la peau d’une de ces victimes que rien n’aurait destinée à connaître la violence.

Car Eux, c’est, somme toute, à la base, une histoire banale. Celle d’un adolescent normal qui rentre au secondaire, séparé de ses amis et un peu marginalisé en raison de sa timidité. Jusqu’au jour où il se fait rosser dans les toilettes de son établissement par une bande de petites brutes. Cet acte gratuit signe malheureusement sa condamnation au sein d’un petit milieu dans lequel la violence morale et physique sont quotidiennes. Ce jeune garçon est battu, extorqué, ridiculisé à outrance par ses camarades de classe. Sa détresse, énorme, est ignorée par les témoins silencieux que sont les autres élèves, le personnel de l’école, ses rares amis et même ses parents.

Nous le suivons pendant cette longue descente aux enfers, et voyons un étudiant tout à fait normal se transformer en un souffre-douleur silencieux. Désespéré, humilié, il se sent inutile, laid, rongé par le sentiment d’injustice. Certaines de ces victimes se font alors violence, et ce garçon y pense, mais la haine qu’il a pour « eux », ses bourreaux directs ou indirects, le tient debout. Jusqu’à l’impensable, jusqu’à ce que le monstre en lui se réveille et qu’il veuille prendre sa revanche en se rendant, fusil au poing, dans son établissement honni.

En l’espace d’une petite centaine de pages qui se lisent d’une traite tant le rythme et la tension imposés par l’auteur sont intenses, Eux nous permet de ressentir la souffrance aiguë, insupportable qu’une victime d’intimidation peut endurer. De-ci, de-là, on retrouve de petites longueurs et récurrences un brin lyriques (n’oublions pas que le personnage central est un ado et s’exprime au « je »), et une fin allongée inutilement. Il faut toutefois saluer l’écriture criante de vérité de Patrick Isabelle et des trouvailles ingénieuses, comme ces petits paragraphes placés entre chaque chapitre et qui trouveront leurs sens à la toute fin de l’histoire. Un jeune auteur à suivre.

Eux

Patrick Isabelle

Éditions Leméac

112 pages

Février 2014

Eux
Eux
Patrick Isabelle
Leméac