Sean Michaels : Corps conducteurs
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Sean Michaels : Corps conducteurs

«J’étais Léon Termen avant d’être le docteur Thérémine, et avant d’être Léon, j’étais Lev Sergueïevitch.» Dès l’ouverture de ce roman, on comprend que le personnage dont il sera question est multiple. Léon Termen est ce scientifique qu’on a surnommé le «Edison russe», rendu célèbre par l’invention de cet instrument de musique à la gloire bien éphémère, le thérémine. La vie de Léon Termen, d’abord ingénieur à Leningrad, avant d’être la coqueluche de New York et de finir prisonnier dans un goulag, a quelque chose de romanesque avant même qu’on y insuffle de la fiction. C’est cette vie qu’on tentera de circonscrire dans ce premier roman de l’auteur anglo-montréalais Sean Michaels, chroniqueur et blogueur musical, lauréat du prestigieux prix Giller.

La majorité de l’histoire nous est narrée par Termen lui-même, alors confiné dans une cellule à bord du Stary Bolchevique, bateau qui le ramène en Union soviétique après plus d’une décennie sur le continent américain. C’est durant les Années folles, en plein cœur de Manhattan, qu’il trouvera l’amour de sa vie, «la plus grande joueuse de thérémine que le monde connaîtra jamais». Michaels s’intéresse surtout à la période américaine de Termen, cet amour impossible, les rencontres de tout le gratin new-yorkais de l’époque – de Somerset Maugham en passant par Sergueï Eisenstein et Glenn Miller –, la crise financière qui frappera à la fin des années 1920 et la montée d’une tension palpable à l’égard de l’Union soviétique.

Tour à tour amoureux candide, ingénieur endetté et espion soviétique, Léon Termen nous sert son histoire un peu comme une grande lettre adressée à Clara Rockmore, celle qui n’a pas voulu de lui alors qu’il avait le monde à ses pieds. Sean Michaels parvient à construire son roman avec brio, jouant sur différents temps narratifs en gardant bien le lecteur dans l’angle mort de la révélation. Reste que beaucoup de l’action semble se dérouler en filigrane, sans jamais prendre réellement vie, tant l’effervescence new-yorkaise que l’âpreté du goulag demeurent plutôt quelconques. «Ce livre est surtout fait d’inventions.» Tel est l’avertissement de l’auteur en ouverture du bouquin. On comprend donc rapidement qu’il s’est donné la liberté de s’approprier la vie rocambolesque de son personnage dans un premier roman assurément ambitieux et somme toute intéressant.

Corps conducteurs, Sean Michaels, Éditions Alto, 392 pages

Corps conducteurs
Corps conducteurs
Sean Michaels
Éditions Alto