BloguesBlogue de Laurent K. Blais

La fin d’un système, le début d’un autre (SXSW 2014)

Les bracelets ont été coupées, les passes rangées, libérant les propriétaires de la tyrannie des classes mise en place par SXSW pendant deux semaines. L’ordre dans ce capharnaüm repose sur une division méticuleuse des participants en une multitudes de classes, ayant tous des accès et privilèges différents. La multiplication des paliers de l’iniquité et le système de contrôle pour en assurer le respect sont perfectionnés d’année en année.

L’obsession du «wristband» et de la passe contamine toutes les activités: chacun commence son histoire de la veille en pointant son poignet; les bars les plus anonymes hors-SXSW en gratifie leurs clients;  des spectacteurs/aspirants artistes se créent leur propre passe «ALL ACCESS» d’événements qui ont tout l’air d’être fictifs, histoire d’avoir l’air de quelqu’un. De fait, celui qui tente de feindre un statut supérieur au sien sera rapidement démasqué: le péquenaud accumule les bracelets, passes, autorisation, inconscient que le vrai pouvoir ne s’affiche que subtilement.

Même parmi les «ayants» qui boivent et mangent presque gratuitement et n’attendent jamais en ligne, l’attrait du backstage, sidestage et VIP est difficile à résister, même si, rationnellement, complètement futile. Il existe toujours un nouvel étage, une nouvelle section, un nouveau privilège auquel accéder.

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Ces divagations de lecture marxiste de SXSW furent éventuellement interrompue par le chauffeur d’autobus, qui indiquait que nous étions arrivés à l’aéroport. C’est drôle l’autobus au Texas: ça ne coûte rien (1,50$), parce que c’est le stigmate ultime du pauvre. Il y a des limites à ajouter l’injure à l’insulte, doit-on se dire…

En ligne pour m’enregistrer chez American Airlines, je remarque la ligne, vide, pour les «Frequent Flyers». Viens mon tour à la machine. Pour 29,99$, on m’offre une des places dans la sortie de secours. Skip. Pour 9,99$, je pourrais embarquer en premier dans l’avion. Skip. Est-ce que j’ai un numéro de client premium? Non. Skip.

À la sécurité, je descends le serpentin menant aux multiples détecteurs. Si j’avais été pré-approuvé par la TSA, j’aurais pu passer dans la file de droite, complètement libre. Quelques mètres avant le dépouillement d’ordinateur, de sacs, de ceinture, de chaussure, un écriteau spécifie que les voyageurs de 75 ans et plus peuvent garder leurs chaussures et leur manteau. À l’embarquement, on appelle, dans l’ordre, la classe affaires, les militaires en uniforme, les clients premium, ceux qui ont la mention «embarquement prioritaire» sur leur billet. Puis, nous, le reste des schmuck, qui n’ont pas RSVP à «La vie».