Claude Laroche
Un vendredi soir à la Charade
Vendredi 21 octobre 1977, trois heures du matin. La scène se passe à la Charade, restaurant de la rue Notre-Dame où la faune théâtrale va finir ses soirées. Le premier match de la LNI vient de s’achever, l’ambiance est à la fête, tout le monde a conscience qu’un événement vient de se produire. Le succès est foudroyant. Je suis là, spectateur excité par ce qu’il vient de voir, c’est mon premier soir à Montréal depuis des lunes, de retour d’un voyage initiatique au Mexique et d’un séjour dans une commune qui s’est achevé sur une banale peine d’amour. J’ai abandonné le métier, je n’ai pas joué depuis plus de deux ans, le Grand Cirque Ordinaire est dissous, je n’ai pas de gang, pas d’ambition, où que j’aille, je suis un étranger.
La bière coule à flots, tout le monde est aux oiseaux, mais il y a un bémol. Des douze braves qui ont joué ce soir là, il en manque deux ou trois, que l’expérience a traumatisés. Ils ne veulent plus rien savoir, blessés dans leur orgueil, et Robert Gravel doit trouver des remplaçants pour le prochain match prévu pour le dimanche après-midi . Il se promène dans le restaurant, s’arrête ici et là, cherche mais ne trouve pas. Et puis il me voit, s’approche et me lance d’un air baveux:
Hey, Laroche! T’es un gars du Grand Cirque toi! T’as déjà fait de l’impro! Ça te tentes-tu d’essayer ça?
J’ai dit oui. Probablement à cause de la bière et autres substances ingurgitées. Mais aussi parce que ce que j’avais vu m’avait enchanté. Le théâtre devenait démocratique, tellement démocratique que le public était obligé de voter. C’était fou, périlleux, complètement transparent. Le dimanche à 15 heures, j’ai enfilé mon chandail, et j’ai joué.
« Oh la la! que d’amours splendides j’ai vécus! » Et des voyages, et des triomphes, des coupes Charade, des Coupes du Monde, des rencontres à n’en plus finir avec des acteurs et des actrices de partout, des matches en anglais, en italien, en créole, beaucoup de chambres d’hôtel, toutes sortes de salles, des patinoires de toutes les dimensions et toujours cette petite phrase qui me revient:
Ça te tentes-tu?
Claude Laroche