Gaston Lepage
Quand j’ai dit oui a Robert Gravel qui me proposait de participer à un jeu d’improvisation basé sur le sport national des québécois/canadiens au printemps 77, je ne me doutais pas de la suite. L’expérience devait se situer dans le cadre du « Théâtre Expérimental » qui avait alors pignon sur rue à l’étage d’un restaurant haut de gamme de la rue Notre-Dame, la maison Beaujeu.
J’avais discuté longtemps avec Robert Gravel et Yvon Leduc de l’intérêt commun que nous avions pour l’improvisation. D’ailleurs, plusieurs spectacles du « Théâtre Expérimental » faisaient appel à la création par l’improvisation.
Mais ce spectacle-là, basé uniquement sur l’imagination des participants qui écrivaient la pièce de théâtre dans un cadre strict à mesure qu’elle progressait, dépassait pas mal les cours d’impro que j’avais beaucoup aimés au Conservatoire d’Arts Dramatiques, à peine quelques années auparavant.
Donc, finalement au mois d’octobre 1977, nous nous réunissions, plusieurs collègues actrices et acteurs, pour une répétition de ce spectacle. On peut dire que cette répétition fut un fiasco. Tous les participants réunis à minuit pour répéter un show qui ne comportait aucun texte, faisaient ce qu’ils pouvaient pour improviser des scènettes sur un thème donné avec le plus de crédibilité possible, mais tout tombait à plat, et parfois dans une cacophonie gênante…
Au milieu du spectacle, Robert arrêta la répétition et remis les pendules à l’heure devant tous les acteurs et actrices un peu découragés. C’était un spectacle expérimental après tout, et il y a des expériences qui restent des expériences. Nous convînmes donc de jouer les quatre spectacles prévus à l’origine, et de passer à autre chose par la suite.
Quelques jours plus tard, ou le lendemain peut-être, cela n’est pas trop clair dans mon souvenir, avait lieu le premier match de la Ligue Nationale d’Improvisation. L’atmosphère était électrique. Sans filet, nous allions nous lancer devant une salle comble à 140% qui remplissait les gradins, sur cette surface ressemblant à une patinoire, à l’exception des quatre poutres qui se trouvaient au milieu de l’espace, sans texte, sans personnage, sans répétition, sans metteur en scène, sans costume élaboré, sans rien qu’un thème à peine évocateur…
Et ce fut le délire. Je crois n’avoir jamais vécu quelque chose d’aussi intense au théâtre ou ailleurs. Lors de notre répétition, nous avions oublié le personnage principal, le public, qui avec ses réactions spontanées au cours du vrai spectacle, allumait littéralement les impros les unes après les autres. Le reste appartient à l’histoire… De quatre matchs prévus, nous en jouâmes dix-neuf cette première saison-là. Le succès se confirma rapidement, et nous fîmes salle comble à tous les match. L’improvisation inscrivait tranquillement ses lettres de noblesse dans le livre de l’art théâtral.
Aujourd’hui, la presque totalité de ceux qui jouent régulièrement à la Ligue Nationale d’Improvisation et dans les centaines de ligues dispersées dans plusieurs pays, n’était même pas née lors de la création. Je suis extrêmement fier de faire partie des pionniers qui ont donné au Monde ce jeu théâtral inépuisable. Merci Robert, merci Yvon, et merci à tout ceux et celles qui perpétuent cette forme de théâtre amorcée il y a 40 ans.
Gaston Lepage