Robert Gravel
Et puis un beau jour on est acteur, on aime l’impro (ou on ne l’aime pas, ça va de soi), on s’y sent à l’aise et on a le droit de se penser bon. À ce moment là on est mûr pour un bon défi. (…)
Et mûrs que nous sommes, un beau jour nous arrive une proposition de spectacle qui nous force au dépassement et à l’abnégation de soi. Ce qui s’est produit à l’automne 1977 avec la création de la Ligue Nationale d’improvisation était de cette nature. Quoi que ces notions de dépassement et d’abnégation n’étaient pas tellement comprises alors et sont loin d’être comprises encore aujourd’hui.
La LNI est née de deux préoccupations: l’évolution de l’improvisation théâtrale en générale et le désir de créer un vrai jeu théâtral.
L’improvisation m’avait amené jusqu’alors à travailler à de nombreuses créations collectives basées sur l’impro comme moyen de recherche, à faire de la création avec des auteurs à partir de l’interaction impro/écriture et à participer à des nombreuses « performances ». L’impro soulevait chez moi quelques questions importantes: Est-ce que l’improvisation pouvait enrichir l’enseignement de l’art dramatique et servir le théâtre en générale? Est-ce que l’impro pouvait être autre chose qu’une soupape pour « lâcher son fou »? Est-ce que la spontanéité pouvais être contingentée par une technique de base?
D’autre part l’idée d’un jeu théâtrale m’était devenue une sorte de hantise. Au Théâtre Expérimental de Montréal nous avions déjà travaillé sur l’idée d’une pièce de théâtre à plusieurs dénouements possibles en cours de représentation, sans jamais arriver à vraiment concrétiser quelque chose. Et déjà chez les défunts Jeunes Comédiens du théâtre du Nouveau Monde en 1972, nous avions ébauché l’idée d’un énorme jeu de Monopoly sur lequel les acteurs/improvisateurs devenaient des terrains… Une idée que manquait de simplicité.
Mais persista cette intuition que, comme un événement sportif, cette intuition que, comme un événement sportif, une pièce de théâtre pouvait être unique à chaque représentation: une sorte de « happening » mais rigoureusement encadré.
Le propos de la LNI en cet automne 77 était donc expérimental et s’adressait à des comédiens et des comédiennes professionnels ayant par le passé démontré une compétence certaine en impro. Il s’annonçait comme suit: Faisons un spectacle improvisé calqué sur le hockey et, en obéissant à une réglementation rigoureuse, mettons-nous volontairement dans un état de compétition.
Il est important de resouligner que le défit était proposé à des « pros » de l’improvisation, des gens qui avaient supposément les reins solides. Ça voulait dire ceci: Nous avons fait nos preuves en improvisation, essayons donc de nous « bousculer » en allant à l’encontre (en apparence) de ce que nous avons appris. Nous verrons après quelles conclusions en tirer.
Ici je ne peux m’empêcher de me rappeler ce grand escrimeur européen qui était de passage à la Palestre Nationale au milieu des années 60 et que j’avais eu la chance de rencontrer alors que j’y faisais un peu d’escrime. Cet ancien champion avait décidé du jour à lendemain de tout refaire l’apprentissage de l’escrime avec son bras gauche, lui qui était un habile et naturel droitier! Il voulait par ce handicap volontaire aller au-delà de sa discipline et fouiller les limites de ses capacités. Cette décision n’a jamais cessé de me fasciner: il voulait ajouter à « ce que son côté droit savait, ce que son côté gauche apprendrait ».
La proposition LNI déclencha évidemment des discussions véhémentes et passionnées. Plusieurs arguments « contre » furent apportés par les comédiennes et des comédiens approchés pour « jouer ». Ces arguments persistent encore aujourd’hui dans la tête de plusieurs. Car effectivement, rien dans ce spectacle ne semble aller dans le « sens » des comédiens, rien ne tend à les aider et même les règles de base de l’impro y semblent parfois affreusement transgressées. Néanmoins, après plusieurs discutions intéressantes, 12 comédiens et comédiennes, 2 entraîneur et un équipe protocolaire (maître de cérémonie, arbitre, organiste, etc.) acceptèrent de se poser concrètement toutes les questions dans la présumée « fosse aux lions », lors de tout premier match le 21 octobre 1977, un vendredi soir à minuit, en haut de la Maison Beaujeu dans le Vieux Montréal…
… ET PERSONNE NE MOURUT!