Sylvie Potvin
Quand ça a commencé
Quand je suis arrivée à Montréal en 1979, c’était comme arriver à New York, mais encore mieux parce qu’on y parlait français. C’était un des attraits de cette ville grouillante et fière qui brillait encore de ses feux de l’élection du PQ en ’76. C’en était électrisant. Je suis arrivée en janvier, et très rapidement j’ai connu la LNI. À ce moment–là les matchs se déroulaient à l’Atelier Continu sur la rue Laurier en face du parc du même nom. On faisait la file pour acheter nos billets, c’était long mais comme on savait qu’on faisait la file pour voir le show le plus hot en ville, c’était le bonheur. Et dans la file il n’y avait que du monde allumé. Normal. On se reconnaissait. On allait souper et ensuite on faisait encore la file pour voir le show. Le vendredi c’était à minuit. Je me rappelle d’avoir été éblouie par Hélène Mercier et Suzanne Champagne. Je rêvais éveillée. La témérité, le cran, l’assurance, le danger et la joie, tout ça était palpable. Nous étions tous, acteurs comme spectateurs, absolument allumés, en temps réel, à respirer l’inspiration. Électrisés. À L’Atelier Continu. J’étais chez moi. Je le savais.
À cette époque je voulais faire du théâtre comme eux, mais je ne savais pas comment me glisser dans ce groupe. Et puis j’ai retrouvé Jacques L’heureux avec lequel j’avais fait du théâtre ado. Il jouait à la LNI. Il m’a invité à un party chez Michel Garneau. Heille! Chez le voisin de Leonard Cohen. L’auteur, le poète, le traducteur, le créateur, le coach d’équipe de mon ami Jacques. Je flottais. J’étais allumée et je flottais. J’avais la certitude d’être à l’endroit le plus hot de cette partie-‐ci de la planète. Rien de moins. J’exagère un peu, mais c’est moi, ça. Et je sais que j’ai dit hot deux fois depuis le début. Bon. Où en étais-‐je? Ah oui! Et je rêvais de faire partie de ce groupe. C’était en ’79.
En ’81 j’ai écrit un show avec des amis du Plateau, ça s’appelait Montréal Transport. On avait un local sur Marie-‐Anne au coin Rivard, beaucoup de papier, des crayons, un énorme pot de beurre de pinottes, une fournaise, un piano qui manquait quelques notes, pas grave. On voulait faire de l’écriture automatique et on ne savait pas comment s’y prendre. Alors je suis allé cogner à la porte de Michel Garneau qui est venu nous transmettre les bases de cette façon d’écrire. C’était parti. On a écrit un show qui a eu beaucoup de succès. C’était fou, festif, flyé, et ça grinçait joyeusement par moments. Des gens de la LNI m’ont vue jouer dans le show et j’ai été invitée à passer une audition. Normand Lévesque m’a choisie et j’ai fait partie de LNI à compter de ’82. J’étais dans la ligue majeure. J’écrivais, je donnais des ateliers, je gagnais ma vie comme comédienne-‐improvisatrice, je travaillais avec Gravel et compagnie. Et rapidement je suis partie en tournée en Europe avec La LNI. C’était le bonheur d’arriver dans une ville, de serrer la main des acteurs avec lesquels on allait jouer quelques heures plus tard. Après le match on allait au resto, les bouteilles de St-Nicolas de Bourgueil nous faisaient chanter jusqu’aux petites heures et nous repartions à la rencontre d’une autre gang d’impro en France, en Belgique et en Suisse. Moi, chanceuse, je suis allé en Italie pour donner des ateliers. Oh le bonheur de jouer, d’essayer de jouer en italien.
L’impro continue d’avoir une belle vie en Italie, grâce au travail de Francesco Buronni.
Et puis je suis allé en Argentine deux fois. La première fois, ce sont les gouvernements québécois et canadiens qui ont subventionné le voyage. J’ai tellement aimé rencontrer les argentins que j’y suis retournée l’année suivante, à mes frais, pour reprendre le travail avec eux pendant deux semaines. Ça ressemblait à de l’amour. Jouer, inventer des histoires, préparer un spectacle, et puis manger de la pizza après le répètes, et entrer dans la vie des gens qui font le même travail que moi, dans un autre pays, un pays où on parle une langue fascinante, si c’est pas ça le bonheur, je sais pas ce que c’est. En tout cas, c’est mon bonheur, mon métier que j’aime d’amour et je remercie la vie de m’avoir mise sur le chemin de la LNI pendant deux décennies.