Les 40 ans de la LNI
Yves Desgagnés
Les 40 ans de la LNI

Yves Desgagnés

Je suis né à la LNI.

Ça se passait en 1977, j’avais 19 ans, j’étudais le théâtre à L’Ecole Nationale.

J’assistais  à la première d’une autre  patente du Théâtre expérimental : la Ligue Nationale d’impovisation !  Une bombe venait alors d’éclater juste au dessus du restaurant  de la Maison Beaujeu.

C’était un coup de génie, point à la ligne.

En pleine effervescence des  années 70, la création de la LNI représentait  un passeport  tout azimut pour la liberté absolue l’acteur.  Sa parole et son autonomie avaient enfin droit de citer.  Fini la dictature du metteur en scène et de l’auteur : l’acteur devenait  le créateur de son univers. Je me retenais à deux mains pour ne pas sauter,  séance tenante,  sur la glace. Enfin un espace vide (la patinoire) venait d’être créer pour je puisse dilater ma fontanelle et libérer ainsi mon imagination. Ce jeu était fait pour moi. J’étais prêt  à renier ma famille, mes études, mes amis, mes amours pour plonger sur la patinoire.

Mais, euréka ! Nul  besoin : quelques  jours  plus tard, les fondateurs Robert Gravel et Yvon Leduc  lançaient l’invitation aux écoles de théâtre de leur signifier leurs « meilleurs improvisateurs » pour un match amical et… Marcel Sabourin, mon professeur d’improvisation, m’avait choisi moi et Denis Bouchard pour représenter l’Ecole Nationale!

Un grisant bonheur. Indescriptible. Intense. C’est dans ce match des Ecoles que j’ai  rencontré pour la première fois ceux et celles qui allaient devenir mes amis pour la vie : Normand Brathwaite, Hélène Mercier, Johanne Fontaine etc… Adieu rectitude, bons sentiments et texte appris par cœur : enfin,  du théâtre « automatiste », qui se crée  à l’instant,  sous nos yeux. Un deuxième « Refus global »  des  conventions théatrales. Cette  euphorie de plaisir ne m’a jamais quittée pendant les six années qui ont suivies.

La LNI, c’est des rencontres qui ont changé ma vie : Jean-Pierre Ronfard,  André Melançon, Normand Lévesque, Janine Sutto, Pierre-Jean Cuerrier ; des coachs qui nous propulsaient vers des zones de plaisirs inexplorés.

Rien dans les mains, rien dans les manches,  rien dans les poches, c’est à la LNI que j’ai appris que la magie n’est pas le fruit de l’imagination ou d’un quelconque patentage mais qu’elle existe pour  vrai. La magie ça se peut. C’est concret, palpable, réel.

C’était un immense honneur de faire parti de la LNI. C’était glamour.   Et encore plus d’en être les ambassadeurs dans ces « matchs de démonstrations »  lors des différentes tournées européenne auquelles j’ai participé en ces débuts des années 80.  La France (première diffusion en direct à la télévision d’un match par satellite du Théâtre d’Aubervillier !), la Belgique, la Suisse, le Festival d’Avignon ; on ne peut rien imaginer de plus gratifiant pour un acteur.  Encore aujourd’hui, il y a ceux qui ont fait la LNI et…les autres. Membre ou ex-membre, on se reconnaît. Une  complicité indélibile, tacite, qui nous fait sourire à tous coups.

La LNI a grandi, elle a fait des petits  et elle m’a fait grandir.  Elle est devenue une culture à part entière. Un outil d’éducation populaire et une grande révélatrice de talents. Combien d’acteurs, d’actrices et d’humoristes se sont révélès à eux même en se révélant aux autres grâce à la LNI? Je vous laisse le soin des compter.

Et parce que j’ai fait la LNI, j’ai  pu, dans ma vie personnelle et professionnelle,  me débrouiller dans à peu près n’importe quelles situations.  Mêmes dramatiques, comme celle de l’attentat au AK47 contre la Première Ministre le soir de son élection en septembre 2012, où j’animais la soirée. Sérieux, je me suis dit : « Improvisation qui a pour titre : il faut vider la salle ». Ça m’a aidé. Ça m’a peut-être même sauvé la vie. Parce que j’ai fait la LNI, j’ai découvert que mon mécanisme d’invention à trouver des solutions était pratiquement sans limite.

Je n’ai pas la nostalgie du passé, mais cette période de grande efffervescence me manque.

Merci à ce cher Yvon Leduc et ce cher Robert Gravel que je suis incapable d’évoquer sans avoir la gorge nouée et les yeux embués.  C’est que, voyez-vous, je n’arrive pas encore à faire le deuil de sa mort instantannée.

L’espoir, cependant, c’est que même si je suis né à la LNI, je sais qu’elle ne mourra pas avec moi. Elle nous survivra. Il faut donc impérativement  prendre  soin de cette grande invention pour que la suite du monde soit encore plus belle.

Yves Desgagnés

PS :  Je tiens à préciser que malgré tout le temps passé, je maintiens que l’arbitre Yvan Ponton n’a pas eu raison de m’expulser du match présenté  à Bordeaux, en 1983, pour « incohérence ». À cause de la LNI, je revendiquerai jusqu’à ma mort le droit à l’absurdité.

40 ans de théâtre spontané…
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